Les artilleurs qui, depuis un moment, attisent en soufflant les lumignons au bout des mèches insèrent l’extrémité incandescente dans la lumière des canons.
Avec une belle simultanéité, les huit bouches à feu tonnent en crachant une nuée sombre qui noircit le bleu déjà profond du jour fermant. L’éloignement est tel,l’arc des projectiles est si élevé, que le vent a le temps de chasser la fumée avant que les boulets atteignent leur cible. Nous pouvons donc les apercevoir en fin de course tandis qu’ils se précipitent sur les manœuvres.
Malgré la détention, Valdez demeure un fort bel homme, avec ses mèches denses de chevelure noire lui tombant bas sur le front. Son nez est droit comme une étrave et ses lèvres un peu sèches se trouvent largement compensées par de fines moustaches et par une barbe en pointe, toujours taillées et peignées de manière irréprochable. Toutefois, dans son visage, ce sont ses yeux qui frappent avant tout.Ils irradient des creux sombres de ses orbites tels deux diamants glacés que traverse la lumière d’une âme aux inclinations brutales.
On a beau ne courir aucun risque d’importance, trop de légèreté pourrait porter malheur. Qui sait quelles facéties les dieux et les démons, chrétiens comme américains, réservent à ceux qui considèrent le danger de façon trop frivole ?
Quand les pirates vont sauter sur le pont, balles, flèches et sagaies voleront en tous sens et seule l’indulgence des dieux soutiendra ceux qui n’auront pas eu la bonne idée de courir aux écoutilles.
Bien qu’ils soient habitués à ces scènes démoniaques, les prisonniers ne peuvent s’empêcher de frissonner à l’énoncé que d’autres âmes espagnoles
seront bientôt offertes aux démons indiens.
Camille Bouchard. Prix du Québec 2014.