Personnellement, je n’ai jamais perdu cette capacité juvénile de sentir à l’état brut. Dieu merci. C’est ce qui me situe à l’écart de la majorité des gens, paralysés par la bienséance et les conventions, étouffés par les notions de respect et de statut. Aujourd’hui encore, je peux revivre la jalousie de mes dix-sept ans, la sentir m’étreindre la gorge, me labourer les entrailles.
Je crois que je comprends le piège de la pauvreté. Il faut que vous ayez un peu d'argent, un peu d'amour-propre, un peu de respect pour l'autorité. Ainsi, vous ne mourez pas de faim, vous ne mendiez pas et vous ne volez pas. Et ainsi, vous ne faites jamais rien.
Page 248 édition du Seuil 1988:
"La mouche qui s'empiffre dans un pot de confiture n'éprouve pas le besoin de changer de décor."
Karl-Heinz ne m’avait donné que le texte – j’ignorais le titre, j’ignorais l’auteur. Je ne savais rien du sujet du livre ni de son genre. Pourtant, assis là dans cette cellule, j’eus l’impression d’être à l’orée d’une merveilleuse aventure et de tenir entre mes mains fiévreuses quelque chose d’immensément précieux. Ce fut un instant divin. Il allait changer ma vie.
*
"Chapitre Un. "
Mon coeur battait follement d’impatience. La première phrase, le premier paragraphe...à quoi ressembleraient-ils ? Je lus :
" Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution [...] n’être fait comme aucun de ceux qui existent " Mon émotion fut telle qu’il me fallut reposer la page. Mon coeur se démenait dans ma poitrine, y battant à grands coups. [...] Mais jamais je n’ai lu un tel prologue à un livre, jamais je n’ai été aussi puissamment et immédiatement emporté. Qui était cet homme ? A qui appartenait cette voix qui m’interpellait si directement, dont l’impudeur effrontée retentissait de tant d’honnêteté sincère ? Hypnotisé, je poursuivis ma lecture.
Il en a toujours été ainsi: les gens sans talent envient ceux qui en ont, de la même manière que les faibles admirent les forts.
Tout allais bien jusqu'à ce que je décide, unilatéralement, que cela pourrais aller mieux.
Peter avait été méchamment gazé à Arras et pouvait à peine prononcer une demi-douzaine de mots entre deux sifflements visqueux. Ses poumons faisaient un bruit de bottes de caoutchouc dans un marécage.
Et nous perdîmes ce que nous possédions avant que je ne nous embarque dans ces quelques secondes irréfléchies. Ce baiser ne nous ouvrit aucune porte : il annula simplement les alternatives et nous laissa tous deux appauvris. Ce que j'envie le pus chez les gens, c'est leur capacité d'utiliser de manière positive la modération et le sacrifice. De vive et 'être heureux avec le négatif, la route non choisie. A l'échelle des gigantesques déceptions de ma vie, mes trois secondes d'étreinte avec Heather peuvent être considérées comme insignifiantes, mais elles se révélèrent un petit regret durable, comme un appendice grommelant, harcelant, harcelant.
Georg m'affirma un jour, avec un sérieux passionné, que la seule chose importante dans la vie de tout Allemand mâle, c'était de pouvoir fumer en paix dans chaque coin de sa maison.
Toutes mes pensées avaient désormais trop servi - elles étaient molles, avachies, aussi diaphanes qu'une chemise trop lavée. Je voulais des pensées neuves, une stimulation nouvelle, je voulais quelque chose à lire. Je suppose que du papier et un crayon, de la musique, une conversation animée auraient été tout aussi bienvenus, mais, dans mon désespoir, je voyais mon salut dans un livre, n'importe quel livre. Je voulais être amusé, séduit, mais, avant tout, communiquer avec un autre esprit, une autre imagination que la mienne. J'avais cessé de rêver. J'avais cessé de me masturber. J'étais vide, une cosse. J'avais besoin d'un peu e fertilisation. Une goutte de carburant pour remettre la machine en marche.