Il était un aristocrate de la douleur et de la frustration, un prince de l'angoisse et de la honte.
En sortant de son bain, il trouva Hazel assise en petite tenue, en train de se faire les ongles. Vivre en Afrique offrait deux agréments, se dit-il gaiement, et deux seulement : la bière et le cul. Le cul et la bière. Il ne savait pas très bien dans quel ordre les placer - peu lui importait en fait - mais c'étaient les seules choses dans sa vie qui ne le décevaient pas constamment. Parfois, oui, mais pas de la manière cruelle et arbitraire avec laquelle le reste du monde s'employait à le piéger et à le frustrer. C'était ce qu'il y avait de plus fiable dans cet affreux pays et - se dit-il avec suffisance, tout à coup en pleine forme et plutôt content de lui - il s'en payait certainement pas mal des deux.
Morgan aimait à se figurer la ville comme un immense bouillon de culture abandonné dans un placard humide par un laborantin distrait , et foisonnant sans contrôle dans des conditions idéales de multiplication.
Il était un aristocrate de la douleur et de la frustration, un prince de l'angoisse et de la honte.
Morgan aimait à se figurer la ville comme un immense bouillon de culture abandonné dans un placard humide par un laborantin distrait, et foisonnant sans contrôle dans des conditions idéales de multiplication.
L'épuisement régnait en maître ici, se dit Morgan en essuyant une goutte de sueur sur son front. Il savait que sa chemise bleu pâle, propre du matin, avait maintenant deux taches bleu foncé grandes comme des soucoupes sous les aisselles et peut-être quelques zébrures sur son épine dorsale. Il aurait dû en mettre une blanche, râla-t-il, de quoi aurait-il l'air en accueillant la fille des Fanshawe avec la dégaine de "celui-qui-n'emploie-pas-de-déodorant" dans une pub de cinéma. Il lui faudrait carrément garder les bras collés le long du corps.
Très chauve, il faisait aussi partie de ces optimistes qui croient qu'une mèche humide traversant en bissectrice, d'une oreille à l'autre, un crâne reluisant peut effectivement faire illusion.
Morgan les dévisagea avec ressentiment : Dalmire, vingt-cinq ans, enfiévré par l'alcool comme un adolescent, Jones et sa grosse figure luisante aux bajoues mal rasées, marié à une femme maladivement pâle avec deux moutards maladivement pâles...Ca donnait à penser, se dit-il, on n'envoyait vraiment que les fonds de tiroir ici. Mais il réalisa alors qu'il s'incluait dans la condamnation générale, ce qui le déprima profondément, avant que son orgueil ne lui souffle qu'il était différent des autres, spécial, l'exception qui confirme la règle. L'évidence de cette assertion ne lui parut pas aussi convaincante qu'il s'y attendait, aussi changea-t-il de sujet.
L'amour embrasa son cœur comme le feu une nappe de napalm: un amour stupide, un amour irrationnel d'ivrogne sans beaucoup de rapport ave l'Amour avec un grand A.
La tension des deux dernières nuits, combinée à de vigoureuses cuites, avait produit une gueule de bois de dimensions planétaires. Il semblait que tout son corps eût été martelé à coups de maillet – un de ces maillets de bois qu’on utilise pour attendrir les steaks. Sa langue lui donnait l’impression d’avoir doublé de volume et de vouloir pendre hors de sa bouche comme celle d’un chien, et la migraine lui déchaussait chaque dent et transformait son sinus en diapason.