Ce n’est pas là-bas
Ce n’est pas là-bas, mais ici
Au Nord
Qu’est la Mer Méditerranée.
Nous traînons dans le froid
Nos barques et forêts. Et les morts
Nous suivent pas à pas.
Un pêcheur s’est attardé
Face au vent livide
Qui réveille ceux qui s’étaient assoupis
Et il tire son filet
De petits morceaux d’ambre
Qu’il dispersera
Sur le sable noir au bord de l’eau
Et une lumière froide
Monte au ciel
D’où depuis des siècles
Gèlent nos cœurs brisés
Dans un instant la tête d’un élan
Jouera à cache-cache derrière un pin alpestre
Il faudra écouter avec attention
Le chant des dunes.
Aux côtés du vent
S’élève un chant sans souffle
Le chant de ceux qui ont perdu
Les dieux et la parole.
Et comme on a répété tant de fois,
Un murmure parfois s’élève dans cette obscurité
Sois courageux et n’oublie pas
Si tu ne peux plus te le permettre
Dans cet appel
Quelque chose nous détourne de la terre
Les pleurs de Juraka *, la colère de Perkunas ** qui l’accompagne
Sur la côte, navires étrangers,
Et hors des forêts un saint en haillons
Qui bientôt mourra
Pour qu’ensuite
L’épée nomade
Ouvre
Nos cœurs païens
* Déesse de la mer, fille de Perkuna
** Dieu balte du tonnerre
//Erwin Kruk (04/05/1941 – 31/03/2017)
/ Traduit du polonais par Frédérique Laurent
Le livre du doute
depuis quand la vie est-elle faite de dates
d’heures perdues
de rendez-vous ratés
d’engagements manqués, de trahison
depuis quand plus aucun cœur n’est brisé, bien que
nous ne croyions plus au pardon
aux récompenses promises ni à l’odeur de pain
et par manque de foi, nous faisons une croix sur nos rêves
et chaque fois nous nous sentons
comme un chien errant
qui se jette sous les roues d’une voiture qui passe
même si personne n’en connaît la raison
l’enfant derrière la vitre de la voiture arrêtée à un feu
regarde indifférent
ce jour à l’aube s’annonce plein de promesses
quel triste salut
mais est-il possible d’apprécier un monde tout à fait incompréhensible
et dans quel tableau y aura-t-il assez d’espace
dans quel livre du doute
pourrons-nous retrouver notre parole
// Krysztof Dariusz Szatrawski (1961-)
/ Traduit du polonais par Frédérique Laurent
Au bord de la Krutynia
L’automne rampe dans les arbres
et les poissons dans les vannes. L’œil du filet du pêcheur
repère ce qui est caché dans l’eau.
Seuls les nuages fuient les enchevêtrements
meurtriers. La pensée circule, insaisissable,
avec le courant.
Le bateau est trop lourd pour se lancer
dans des épreuves contre les nuages. Il est fâché
avec les rapides. Il patauge dans les acores.
Il aimerait déjà se coucher sur la rive,
tiré d’affaires. Ou trans porter d’heureux touristes
à la pirogue.
Les poissons se taisent à table. Le pêcheur
dit une prière. Pain quotidien
dans le panier. Et la rivière, derrière la maison
lèche les bottes du seuil de la porte. Une vague de chuchotements
s’abat contre la vanne
chargée de ses pensées.
// Wojciech Marek Darski (1958 -)
/ Traduit du polonais par Frédérique Laurent
Mazurie paysage d’automne en arrière-plan
La grande chaleur encore couvre les feuilles hâlées
de l’eau se forment des nuages
les roseaux pataugent dans les eaux dormantes
ou l’air déjà dans les rougeurs
provoque des vents nouveaux
dans les chênaies les sangliers flairent les glands
les oiseaux cherchent les clés
pour fermer leur nid et s’envoler
la terre épuisée par les mousses
joue avec les racines
et l’automne de Scandinavie envoie une carte
de vœux
//Wojciech Marek Darski (1958 -)
/Traduit du polonais par Frédérique Laurent