Le 26 janvier 1920, dans la nuit, Jeanne Hébuterne prend son envol. Elle va rejoindre son amour,
Amedeo Modigliani, mort un peu plus tôt, épuisé par la tuberculose et l'alcool.
Car oui, cette histoire est une tragédie et on en connaît d'emblée la fin.
L'art m'intéresse beaucoup et j'aime lire des oeuvres qui me permettent d'en apprendre davantage sur les peintres.
Si peu de gens connaissent Jeanne Hébuterne, ce n'est pas mon cas. J'ai déjà découvert quelques ouvrages qui parlaient de cette jeune artiste, surtout le beau roman d'
Olivia Elkaïm. Mais celui-ci met en scène une vision assez différente de celle qu'en donne
Nadine van der Straeten. Jeanne est ici la narratrice d'une histoire centrée sur la passion qui la lie à Modigliani. Et qui dit passion dit souffrance. En effet, les scènes de disputes ne sont pas rares, car « Modi » boit plus que de raison et est un révolté jamais satisfait.
Nous découvrons d'abord une Jeanne élève à l'académie Colarossi et modèle de Fujita. Un soir, à la Rotonde, fait irruption un homme que tous semblent connaître :
Amedeo Modigliani. Chana Orloff, l'amie de Jeanne, les présente. C'est le début d'une relation houleuse, car non seulement Jeanne n'a que dix-huit ans, mais elle est issue d'un milieu bourgeois qui voit d'un assez mauvais oeil cette liaison avec un juif alcoolique et sans le sou, qui a presque le double de son âge. Toutefois, l'auteur parle assez peu du point de vue des parents. Elle met l'accent sur le milieu des artistes dont les portraits sont d'une fidélité quasi photographique (Fujita, Renoir, Soutine...) et la vie des deux amoureux. Il y a de bons moments : ils travaillent ensemble et entament une bataille de pinceaux comme deux enfants facétieux, ils se baladent dans Paris ou fréquentent des fêtes. Hélas, les heures sombres et violentes sont beaucoup plus nombreuses : Jeanne, qui tente d'empêcher Amedeo de sortir pour s'enivrer, se fait rudoyer, les deux artistes se querellent quant à leur conception de la peinture, Jeanne doit aider Modigliani ivre-mort et inconscient à regagner ses pénates.
L'album est en noir et blanc et les dessins sont d'un esthétisme fabuleux. Jeanne est représentée avec des yeux félins très étirés, tels ceux que lui attribue son amant dans ses portraits.
Le lettrage fait comprendre en un clin d'oeil la tonalité de la scène : lettres blanches sur fond noir : passage triste. Épaisses et gigantesques : cris, discorde, indignation. Minuscules : chuchotis ou bruit de fond peu intéressant.
Beaucoup de citations de poètes, notamment
Lautréamont, dont j'ai lu que Modigliani l'idolâtrait et conservait toujours sur lui un opuscule des « Chants de Maldoror », dont il connaissait des passages par coeur, ou
Baudelaire, grand connaisseur et critique d'art.
En bas de page, des notes précisent qui sont les personnages croisés par les protagonistes (Utrillo, Léopold Zborowski, Jean Agélou...) et, tout au long du récit, angoissant, le bruit de la toux de Modigliani.
Les dessins sont réalistes et magnifiques. Chacun mérite qu'on s'y attarde. Beaucoup d'oeuvres des deux peintres sont représentées magistralement par
Nadine van der Straeten.
A la fin du volume, quelques pages nous offrent un carnet de croquis et des notes explicatives présentant la genèse de l'album ou un aperçu de la vie des personnages.
J'ai seulement été étonnée de ne découvrir, dans la bibliographie qui a servi de documentation à l'auteur, que des ouvrages consacrés à Modigliani et aucun à Jeanne.
J'ai adoré ce roman graphique. Cinq étoiles ne sont pas suffisantes pour traduire mon enthousiasme. Je le place dans mon top 10 des bandes dessinées et le tiens pour un véritable chef d'oeuvre
Je suis donc particulièrement reconnaissante à l'opération Masse critique et aux éditions Tartamudo de me l'avoir offert.