L'Allemagne romantique, tome 2 : Novalis, Hoffmann, Jean-Paul, Joseph Von Eichendorf

Lorsque Anselme est en état de grâce romantique, c'est-à-dire prêt à pénétrer dans le monde "lointain et prodigieux ", les choses se révèlent à lui sous leur véritable nature; il les regarde en transparence au-delà de l'écorce des apparences, et c'est la vérité qu'il atteint, ainsi, non l'illusion.

Hooffmann a été malheureux en amour: c'est-à-dire qu'il a souffert de ne pouvoir épouser la jeune fille qu'il aimait, mais en échange de cette souffrance il a reçu le don de l'amour idéal, plus passionné encore du fait de ne pas s'être réalisé qui, en conclusion, lui paraît être le véritable amour de l'artiste.
Avoir été séparé, très tôt et pour toujours -de Julia Marc qu'il adorait, l'a préservé également de l'habitude et des désenchantements.A Julia étaient épargnés le vieillissement et la banalisation dans l'accoutumance; elle restait pour lui la ravissante cantatrice de dix-sept ans qu'il n'avait jamais possédée mais qui, pour cette raison, peut-être, lui appartenait indissolublement.Rien ne pouvait désormais entraver ou modifier son amour pou Julia, qui continuerait d'habiter sa pensée et son oeuvre, inchangée, inaltérablement belle et parfaite.

Le fantastique, en tant que forme d'expression littéraire, déguise le chemin en même temps qu'il le révèle, jusqu'au seuil de l'invisible, mais il y avait chez Hoffmann une richesse et une vivacité de l'imagination qui laissait jaillir sa verve dans divers directions et, souvent, lui permettait de vagabonder sur les franges de l'énigme, assez loin même du bois sacré des hauts mystères.

C'est à l'initiation, donc,que se rapportent les grands thèmes de Princesse Brambilla, parmi lesquels il y a d'abord, source d'inquiétude, de nostalgie, d'aspirations, le désir de retourner dans sa "patrie", de ne plus être un "orphelin".(...)
Le rêve lui-même, dans l'acception hoffmannienne, est, à sa façon, et dans sa juste balance de gravité et d'absurde, le lieu de l'initiation."Je ne parle pas du rêve qui surgit en nous lorsque nous sommes couchés sous la moelleuse couverture du sommeil, lisons-nous au chapitre IV...Non, je parle de ce rêve que nous rêvons pendant toute la vie, ce rêve qui souvent prend sur ses ailes le fardeau douloureux des choses terrestres et devant lequel s'éteignent toute souffrance, toute amertume, toute lamentation et toute plainte d'un espoir déçu, car ce rêve lui-même, comme un rayon du ciel allumé dans notre poitrine, nous promet la réalisation de l'infini de nos désirs."

Je vois dans les motets à huit voix de Bach, continue Hoffmann, l'architecture hardie, toute merveilleuse et romantique de la Cathédrale monter, fière et splendide dans les airs, avec tous ses ornements fantastiques enchevêtrés avec art pour produire l'effet d'ensemble.

La musique constitue ainsi le contrepoids spirituel à tout ce qu'il y a, dans la passion, d'instinctif, de sexuel, d'animal, et harmonise les discordances suscitées par ces troubles violences.l'intérêt porté par Hoffmann à la musique religieuse, le plaisir qu'il éprouvait à écouter les offices catholiques auxquels il accompagnait la petite M., la dévotion à la Vierge que ce protestant exprimait dans ses motets et ses hymnes semblable en cela à l'hernute Novalis, révèlent l'attrait qu'avait pour lui le sacré musical; je veux dire le sacré accompagné de musique et la musique imprégnée de sacré.

Aussi les sons forment-ils -et c'est aussi la pensée de Jean-Paul- un pont entre l'homme et les puissances secrètes du cosmos.Le musicien, mieux que le physicien, est instruit ainsi de la nature de la nature, et la connaît dans cet état de communion extatique ou le plongent la voix humaine et les instruments quand ils sont harmonieusement accordés à l'harmonie inaudible de l'univers.Elle est le moyen le plus délicat et le plus complet, puisque matériel aussi bien que surnaturel et saisissant le corps en même temps que l'âme.

Indifférent aux sciences naturelles proprement dites, à la géologie par exemple qui sera pour Novalis une des voies majeures de l'initiation, Hoffmann devra à la musique seule cette bienfaisante faculté qu'il a de vivre en poésie et de contempler ainsi l'âme du monde.Cette ivresse dyonisiaque, enfin, qu'il lui demande et qu'elle lui procure avec une magnifique prodigalité, correspond à un état de grâce dans lequel l'essence des choses se manifeste à travers le masque des apparences.

Aujourd'hui, replacé dans le contexte du Romantisme en général, (...), Hoffmann doit être reconnu comme l'égal de Tieck et de Brentano dans la composition de contes initiatiques d'une haute portée ésotérique; on aperçoit chez lui aussi l'exemple parfait d'une vie en poésie que n'ont jamais pu contrarier les souffrances de l'amour déçu et des ambitions insatisfaites (...).