Issue d'une famille modeste dont les préceptes et la sagesse l'ont amené à devenir une jeune fille douce et aimante,
Agnès Grey, fille de pasteur, décide de devenir gouvernante. Persuadée de pouvoir aider sa famille qui vit dans une grande précarité depuis un revers de fortune, elle s'engage à ses dix-huit ans chez les Bloomfield, de riches propriétaires terriens dont elle doit élever les enfants. Forte de son enseignement, consciente de ses qualités mais surtout très naïve, Agnès est persuadée de pouvoir faire du bon travail et d'aimer ces enfants dont on va lui permettre de faire l'éducation. Curieuse et pleine de bonne volonté, elle est déterminée à se prouver à elle-même mais surtout aux siens qu'elle est une jeune fille parfaitement apte à supporter ces nouvelles responsabilités et à apporter sa contribution au foyer familial. Malheureusement, Agnès déchante très vite en prenant conscience de la lourde charge que représente son nouveau métier, car l'éducation de jeunes enfants n'est pas du tout une partie de plaisir, particulièrement quand les enfants sont des petits monstres cruels, encouragés dans leur égoïsme par des parents stupides et hypocrites.
Cette première plongée au coeur de la bourgeoisie de l'époque est un formidable témoignage du métier dur et peu gratifiant de gouvernante, pour lequel les femmes de l'époque devait souvent sacrifier beaucoup de leur valeur aux dépends de l'autorité de leurs supérieurs.
Destinée à s'effacer devant les autres, condamnée à subit le joug de ses jeunes élèves, leurs méfaits et leur insolence perpétuelle, sans parler de l'arrogance des parents persuadés de la valeur et des qualités de leur progéniture, Agnès ne tarde pas à sombrer peu à peu dans la tristesse et la morosité. Seules les quelques visites qu'on l'autorise à faire à ses parents et à sa soeur lui permettent de supporter le poids de cette vie qu'elle s'est choisie, mais qui ne la satisfait pas.
Et pourtant, lorsqu'elle quitte les Bloomfield,
Agnès Grey décide de renouveler l'expérience auprès des Murray, une autre grande famille respectable de la région, dont les enfants plus âgés lui donnent l'espoir de pouvoir accomplir la tâche qu'elle s'est fixée. Mais c'est sans compter sur l'arrogance et la vanité des filles de la maison, la méchanceté des garçons, et une fois encore, l'indolence et l'aveuglement des parents.
Premier et court roman d'
Anne Brontë (l'une des trois soeurs que je connaissais le moins) publié en 1847 sous pseudonyme, cette plongée au coeur de l'Angleterre du XIXème a été une vraie surprise en cette fin d'année ! Rédigée à la première personne, la narration pleine de style et de pudeur est un plaisir que j'ai dégusté jusqu'à la fin.
Anne Brontë s'inspire du récit de sa propre vie et met en lumière les différences sociales de son époque caractérisées par l'opposition de son personnage principal (issu d'un milieu modeste) aux exigeants propriétaires terriens qui l'emploient et dont les principales préoccupations se concentrent sur le statut, les apparences et la fortune, dénigrant au passage tout ce qui sert de valeur de référence à Agnès.
Ce récit pourrait facilement nous rappeler celui de
Jane Eyre imaginé par
Charlotte Brontë, et pourtant nous sommes loin du souffle romantique et parfois même gothique de ce grand classique de la littérature anglaise. Ici, pas de riche aristocrate ni de demeure mystérieuse battue par les vents, pas de lourds secrets de famille ni d'héritage tombé du ciel, et au final peu d'évènements palpitants et de scènes tragiques. La subtilité de caractère des personnages laisse à désirer, certains étant même très proches de la caricature. Oui, il est question ici d'une gouvernante timide et effacée, et peut-être aussi d'une idylle pour laquelle j'ai dû attendre les dernières pages, mais on est loin de l'oeuvre magistrale de
Jane Eyre ou de la noirceur des Hauts de Hurlevent dont les émotions et les sentiments, les paysages et particulièrement la lande anglaise, étaient si bien rendus.
Agnès est bonne et pleine de qualités qui m'ont parfois, je dois l'avouer, un tout petit peu agacée - car disons-le franchement, Agnès n'est que douceur et abnégation ! Mais elle est surtout soumise, quasi invisible pour les visiteurs qui se rendent chez les Murray ou fréquentent les demoiselles de la maison, et chez elle il y a peu ou pas de passion, le moindre sentiment un peu explosif dans son caractère étant aussitôt étouffé sous le rappel des Sainte Ecritures. Agnès fait - comme on dit - contre mauvaise fortune bon coeur et apprend à se résigner et à accepter toute forme de déception. A sa place, je pense que j'aurais distribué quelques coups de pieds aux fesses - chose qui, bien entendu, ne se faisait pas à l'époque dans une telle société ! Comparée aux différents membres des familles dans lesquelles elle enseigne, Agnès fait presque figure de sainte, distribuant conseils judicieux et paroles réconfortantes, aussi bien autour d'elle que dans les milieux plus modestes, notamment lors de ses visites chez les paysans des environs. Mais cette jeune fille nous reste définitivement sympathique, et on ne souhaite qu'une chose, qu'elle aussi puisse trouver le bonheur et l'accomplissement dans la voie qu'elle s'est choisie.
Dans cet ouvrage,
Anne Brontë ne se contente pas d'évoquer la situation précaire des gouvernantes et leur situation souvent complexe parmi des gens aux intérêts radicalement différents, elle nous permet d'entrevoir aussi de manière plus générale la position délicate des femmes de cette époque devant subvenir à leurs besoins, et la soumission qui est leur lot quotidien, présente aussi bien dans les milieux modestes que dans la société aisée des aristocrates. Ainsi, Rosalie, la fille des Murray, doit-elle absolument obtenir un titre et épouser leur voisin le plus proche - lors Ashby - malgré sa laideur et ses vices - dont l'alcool n'est pas le moindre. Sa situation est peut-être la plus pathétique, car Rosalie obtient la richesse mais se voit privée de l'innocence et des plaisirs de la jeunesse, et se retrouve au final très insatisfaite et cloîtrée aux côtés d'un époux égoïste et d'une belle-mère autoritaire.
La morale de l'histoire est assez simple, mais revient à dire que les comportements les plus justes et les plus généreux apportent plus sûrement le bonheur qu'autre chose. Et que cultiver la générosité vous rend meilleur. Des préceptes que les riches Murray sont incapables d'appliquer, uniquement conduits dans leur choix par leur égoïsme et leur vanité.
Une belle histoire qui donne envie de relire
Jane Eyre pour en savourer toute la complexité que l'on ne retrouve pas dans
Agnès Grey, mais une oeuvre plus terre à terre qui offre tout de même le grand avantage de nous faire découvrir une autre des soeurs Brontë dont la retenue et la simplicité m'ont conquise.
Lien :
http://tranchesdelivres.blog..