Vous souffrez de narcolepsie ?
Réjouissez-vous :
Olivier Bruneau a (peut-être ?) LA solution !
Un médicament révolutionnaire, quelques pilules magiques et hop, adieu les troubles du sommeil (adieu même le sommeil !), vous voilà parti pour plusieurs jours de veille consécutifs.
Quelle belle idée !
Bon c'est vrai, le traitement est encore en phase expérimentale, mais soyez rassuré car un homme le teste pour vous. Et ce n'est pas n'importe qui : le cobaye est tireur d'élite, employé par une milice privée affectée à la surveillance et à la protection d'une raffinerie de pétrole, dans un pays en guerre. Autant vous dire que c'est du sérieux.
Voilà trois, puis quatre, puis cinq jours qu'à travers sa lunette de sniper, notre homme - enfin libéré de la dictature biologique de son corps - scrute l'horizon sans discontinuer, dégommant quelques insurgés quand l'occasion se présente.
Mais peut-on vraiment faire confiance à ce produit miracle, conçu dans les meilleurs laboratoires militaires ? Qu'adviendra-t-il de notre brave soldat, lui qui bientôt avoue "flotter au-dessus de la réalité" et souffrir d'hallucinations, lui qui n'ose pas s'en plaindre à sa hiérarchie et qui préfère se confier à nous ("j'ai passé trop de temps seul avec moi-même, mon esprit tourne en circuit fermé et mes pensées fermentent sous mon crâne, elles pourrissent même.") Combien de temps survit-on sans dormir, combien de jours avant que la folie l'emporte ?
La réponse est dans
Pharmakon, et le titre déjà nous donne un indice puisque ce terme de grec ancien désigne à la fois le remède et le poison, la drogue salutaire et la potion toxique.
Avec ce roman court, nerveux et efficace, l'auteur nous fait partager le trouble grandissant de son narrateur-sentinelle. Quelques phrases sèches, un soleil de plomb, un ennemi invisible, et nous voilà projetés dans le poste de guet d'un camp miliaire sordide, fusil en main, aux côtés d'une troupe de mercenaires saturés de testostérone. Moi qui ne savais pas du tout à quoi m'attendre avec ce petit bouquin au titre énigmatique et à la couverture vaguement malaisante, je dois reconnaître que l'expérience est très réussie !
Le style est plutôt percutant, le dépaysement sur ces terres hostiles est total, le mépris des miliciens occidentaux pour les populations autochtones est manifeste, et les questions soulevées par ces idées d'homme-augmenté et de fuites en avant médicales ou technologiques ne manquent pas de pertinence. Oh qu'il est flippant, ce monde (qui vient ?) où "le sommeil ne sera plus qu'un luxe réservé à la classe des feignants, cette classe improductive, inférieure, inutile"...
Pour finir, l'ouvrage en lui-même, par le grain du papier et le choix de la typographie, est très plaisant à lire : merci à Babelio et aux éditions du Tripode pour cette agréable découverte !
Si l'on tient vraiment à relever quelques petits bémols, on pourra éventuellement parler de ce dernier chapitre en forme de pirouette un peu surprenante qui ne m'aura pas complètement convaincu, ou des "oublis" systématiques de l'adverbe "ne" dans les formes négatives. L'auteur espérait probablement conférer ainsi à son texte un caractère d'oralité plus vivant, mais ici ce procédé m'a pas toujours semblé judicieux ;-).
Tout ça est bien sûr anecdotique et n'enlève rien à la qualité de ce chouette roman d'anticipation, dont on regrettera seulement l'extrême brièveté (tout juste 122 pages dont on ressort à peine essoufflé ... et parfaitement réveillé !).