"Mais je sais que les mères retrouvent leurs filles mortes. S'il n'en était pas ainsi, la vie ne serait pas supportable."
Je crois que nous faisons tous un trajet aller et qu'ensuite nous faisons le trajet retour vers le point de départ. Dans la vie de l'homme, il y a toujours un retour aux origines. A condition que la mort ne se soit pas interposée avant.
Alors que je marchais orteils nus dans les rues trempées de Vallcarca, que j’ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. Tout à coup, j’ai vu clairement que j’avais toujours été seul, que je n’avais jamais pu compter sur mes parents.
L'autoportrait est l'œuvre qui lui a le plus coûté, enfermée dans son atelier, sans témoins, parce qu'elle avait honte qu'on la voie en train de s'observer dans la glace, de se regarder sur le papier et de travailler les détails, par exemple le léger pli de la commissure des lèvres ou les petites défaites qui se logent dans les rides. Et les petits froncements des yeux qui te font être tellement Sara. Et tous ces signes minuscules que je ne sais pas reproduire mais qui font qu'un visage, comme si c'était un violon, devient le paysage où se reflète le long voyage d'hier avec tous ses détails, avec toute son impudeur, mon Dieu.
Laura n'était plus une étudiante assoiffée de connaissances. C'était un professeur apprécié par ses étudiants. Elle avait toujours son regard bleu et sa tristesse à l'intérieur [...] tandis que des images de toi, Sara, venaient se mélanger à celles de cette femme. [...] Je l'embrassai. Nous nous embrassâmes. Ce fut tendre. Et ensuite je la raccompagnai chez elle, convaincu de me tromper avec cette fille, et que j'étais probablement en train de lui faire du mal. Mais je ne savais pas encore pourquoi.
Ou je ne le savais que trop. Parce que dans les yeux de Laura je cherchais tes yeux sombres de fugitive, et c'est une chose qu'aucune femme ne peut me pardonner.
C'est pour ça que je suis juif, pas de naissance, que je sache, mais volontairement, comme beaucoup de Catalans qui nous sentons esclaves sur notre propre terre et qui avons un avant-goût de ce qu'est la diaspora, seulement parce-que nous sommes catalans.
L'art véritable nait toujours d'une frustration. A partir du bonheur on ne crée rien. (p392)
Ne me regarde pas comme ça. Je sais que j’invente des choses : mais ça ne m’empêche pas de dire la vérité.
Et si Hopper disait qu'il peignait parce qu'il ne pouvait pas dire ça avec des mots, moi j'écris avec des mots parce que, bien que je le voie, je suis incapable de le peindre.
- Qu'est-ce qu'il a, ce caillou ?
- Rien, rien, dit Adrià en le fourrant dans son sac à dos.
- Tu sais quel effet tu me fais ? as-tu dit en soufflant à cause de la pente que nous grimpions.
- Hein ?
- C'est exactement ça. Au lieu de me demander quel effet, tu dis hein.
- Là, je suis perdu.
Adrià qui marchait devant s'arrêta, regarda la vallée verte, écouta le bruit lointain de la Noguera et se retourna vers Sara. Elle s'arrêta aussi, souriante.
- Tu es toujours en train de penser.
- Oui.
- Mais tu penses toujours loin d'ici. Tu es toujours ailleurs.
- Eh bien... Je suis désolé.
- Non. Tu es comme ça. Et moi aussi je suis spéciale.
Adrià s'approcha d'elle et l'embrassa sur le front, tellement tendrement, Sara, que je suis ému rien que d'y penser. Tu ne sais pas combien je t'aime et comme tu m'as transformé. Tu es un chef-d'œuvre ; j'espère que tu me comprendras.
(page 483)