Confiteor

Rien n’a réussi à me rendre heureux, sauf toi [Sara], qui m’as fait souffrir le plus. J’ai été au bord de nombreux bonheurs ; j’ai eu quelques joies. J’ai joui de moments de paix et de gratitude immense envers le monde ou certaines personnes. J’ai été près de belles choses et de beaux concepts. Et parfois je suis pris de la démangeaison de posséder des objets précieux, ce qui me fait comprendre l’exaltation de papa. Enfin, comme j’avais l’âge que j’avais, je souris d’un air suffisant et dis personne ne dit que je suis obligé d’être heureux. Et je me tus, content de moi.
- Tu es vraiment stupide.
Je regardai [ma mère], désarmé. Parce qu’avec quatre mots elle m’avait fait sentir totalement ridicule.

Si je ne peux pas pardonner, pourquoi la vengeance ne me réjouit-elle pas ?

- Je crois que nous faisons tous un trajet aller et qu’ensuite nous faisons le trajet retour vers le point de départ. Dans la vie de l’homme, il y a toujours un retour aux origines. À condition que la mort ne se soit pas interposée avant.

[...] les pierres ne doivent pas être trop petites car elles sont alors inoffensives. Mais elles ne doivent pas être trop grosses, car elles abrégeraient par trop le supplice du coupable. Car ce dont il s'agit c'est de châtier des coupables, ne l'oublions jamais. Tous ces bons messieurs qui lèvent le doigt, impatients de participer à une lapidation, doivent savoir qu'il faut faire expier la faute par la souffrance. C'est ainsi. Il en a toujours été ainsi.
Par conséquent, en blessant la femme adultère, en lui crevant un oeil, en se montrant insensibles à ses pleurs, ils sont agréables au Très-Haut, au Dieu unique, au Compatissant, au Miséricordieux.

(page 547)

L'Europe est en guerre, je vois que j'avais raison. Rien n'a de sens, Dieu n'existe pas et les hommes doivent se défendre comme ils le peuvent des ravages de l'histoire....
Je sais où est le Mal. Même le Mal absolu. Il s'appelle Himmler. Il s'appelle Hitler. Il s'appelle Pavelic. Il s'appelle Luburic et sa macabre invention de Jasenovac... La guerre exacerbe la partie la plus bestiale de la nature humaine.

Ce qui me pesait chez papa c’est qu’il savait seulement que j’étais son fils. Il n’avait pas encore compris que j’étais un enfant.

Je sais bien : je t'ai tout raconté en désordre, mais c'est que ma tête est aussi un peu démeublée.

On me dit que je ne vous reconnaîtrai pas : ne soyez pas trop cruels avec moi. On me dit que cet état ne me fera pas souffrir. Par conséquent, vous n’avez pas à souffrir vous non plus.
Et soyez indulgents avec ma dégradation qui sera progressive mais constante. (p.449)

- On peut être rien ?
Je n'ai jamais su répondre à cette question qu'on m'a posée quand j'étais enfant, parce que l'énoncer m'angoisse. peut-on n'être rien ? "Je" sera rien. Je serai comme le zéro qui n'est ni un nombre naturel ni un entier, ni rationnel, ni réel, ni complexe, mais l'élément neutre dans la somme des nombres entiers ?

Sans doute, comme tous les mortels, est-il incapable de voir le bonheur qui est à côté de lui parce qu'il est ébloui par celui qui est hors de portée.