Lecture commune de mai 2017
Les lectures communes du Club de lecture de Babélio sont l'occasion pour moi de découvrir de nouveaux auteurs.
Ainsi
James M. Cain nous propose avec ce roman un portrait de femme dans l'après-crise de 1929 en Californie et c'est vrai que j'apprécie en général les romans qui proposent une vision individuelle des évènements historiques, une originalité de points de vue, une approche à la mesure du quotidien et une études de moeurs.
Le personnage de
Mildred Pierce force le respect par son pragmatisme, son sens de l'organisation, sa manière de prendre en main sa vie et celle de ses filles et même par les rapports amicaux qu'elle ne cesse d'entretenir avec son ex-mari.
Il ne faut oublier ni l'époque ni les mentalités qui servent de toile de fond à son parcours. Il n'était pas facile alors pour une femme de dire JE, de s'affirmer en tant que femme indépendante. Ce petit bout de bonne femme compte les cents et les dollars, confectionne ses « inexorables pies » quoiqu'il arrive (même le décès de sa fille cadette !), reste toujours très féminine et poursuit sans faille le chemin qu'elle s'est tracé pour donner à sa fille aînée (la fille préférée ?) la vie rêvée qu'elle lui a promise. Mildred est un savant mélange de résolution et de féminité voluptueuse.
Autour de Mildred, les autres personnages féminins forment un groupe solidaire et volontaire : la voisine et amie, les collègues, la bonne, les employées de ses restaurants. Seule sa fille Véda, méprisante, cupide, orgueilleuse et manipulatrice, dégage une aura malsaine, au delà même de la difficulté des relations mère-fille.
Les personnages masculins brillent par leurs faiblesses : l'ex-mari n'a pas su trouver l'énergie de rebondir après sa faillite, l'amant se laisse entretenir sans vergogne, les véritables motivations de l'ami avoué ne semblent pas très honnêtes… Même chez les voisins, c'est Mrs
Gessler qui remet son mari sur les rails ! Bert, l'ex-mari, rachète cependant un peu le lot : témoin des décisions courageuses de Mildred, de sa réussite, de ses doutes, il la suit toujours de loin et, à sa manière, lui témoigne son soutien.
La réussite de Mildred s'accompagne d'une prise de poids ; la jeune femme sexy devient une matrone grassouillette. Au fur et à mesure que ses affaires prospèrent et que ses relations avec sa fille Véda se détériorent, elle perd de son charme. Dans son aveuglement maternel, elle va multiplier les erreurs : tout d'un coup, il n'est plus question de dollars, ni de centaines de dollars, mais de milliers de dollars et ces dollars-là fuient de ses caisses et de ses réserves… Je ne dévoilerai pas la fin, mais il va falloir beaucoup de « pies » pour remonter cette banqueroute.
Même si j'ai eu un peu de mal à entrer dans cette lecture, j'ai fini par m'attacher à cette petite bonne femme un peu insignifiante qui trouve en elle les ressources pour aller de l'avant en pleine période de grande dépression américaine mais que l'on sent menacée tout au long de son honorable cheminement ; son parcours nous est donné à lire de 1931 à 1940, pendant les neuf années de séparation d'avec son mari et de pourrissement des relations mère-fille.
En effet, cette mère de famille semble avoir paradoxalement déplacé sur sa fille aînée un étrange sentiment amoureux, dérive d'un amour maternel un peu trop exclusif et c'est cet amour qui auréole le roman de
James M. Cain d'une ambiance angoissante laissant toujours présager le pire, même quand la réussite matérielle récompense les efforts fournis. le traitement de cette perversion familiale fait tout l'intérêt du livre : comment Véda, l'enfant gâtée mise sur un piédestal, devient-elle la rivale de sa mère ?