Ecrite en 1635,
La vie est un songe est l'une des oeuvres majeures du Siècle d'Or espagnol, dont il faut souligner le paradoxe : tandis que l'Espagne, puissance politique majeure et souveraine en Europe tout au long du 16ème siècle, perd de son influence au cours du 17ème siècle, elle voit émerger des figures artistiques majeures dont Calderon ou
Cervantès en littérature, Velasquez et Murillo en peinture, Luis de Victoria en musique.
La pièce est le reflet des débats théologiques et scientifiques de l'époque, marqués par le rôle croissant des Jésuites dans l'éducation des jeunes élites. A ce titre, on retrouve des réflexions dignes de
Descartes chez Calderon. Ainsi en va-t-il de la réflexion sur la place de l'homme et de la dichotomie entre libre arbitre et toute puissance divine : la prédestination n'est pas admise chez les catholiques, et pourtant Dieu est Tout-puissant. Mais par l'exercice de son libre arbitre, l'homme peut s'améliorer et ne pas céder à ses désirs. Il en est ainsi, dans la pièce, de Sigismond, qui lutte contre son destin et le sort que lui auraient réservé les étoiles. La pièce montre aussi à quel point la Renaissance a fait la part belle à l'Antiquité gréco-romaine, notamment en cela que les personnages cèdent tous à l'hybris, ce vice qui pousse les hommes à se croire des dieux. C'est le cas de Basilio, qui croit lire dans le grand livre du monde les fortunes de chacun, ou encore de Sigismond qui, se croyant roi, oppose sa force à tout ce qui s'oppose à sa volonté.
L'action, qui se déroule en trois jours, se passe en Pologne, cadre lointain mais guère respecté par Calderon qui pense probablement à l'Espagne en écrivant sa pièce. Rosaura, déguisée en homme et accompagnée de son valet Clarin, y croise accidentellement – son cheval s'est emballé – Sigismond, « cadavre vivant », emprisonné dans une tour en plein désert. En effet, son père, le roi Basilio, l'a fait enfermer dès après sa naissance car il a vu, dans les étoiles, que son fils serait un tyran et qu'il le soumettrait à son pouvoir. Rosaura et Clarin sont surpris par Clotaldo, noble homme de main de Basilio qui a fait l'éducation de Sigismond. Clotaldo est troublé par l'épée que porte Rosaura et pour cause : il est son père.
Les deux autres journées voient Sigismond revenir à la cour en tant que nouvel héritier de Basilio. Toutefois, ce dernier, pour se prémunir de tout nouvel accès de violence de son fils, a prévu, si de tels faits s'avéraient, de le renvoyer en prison et lu faire croire à un rêve, afin que son enfermement lui soit plus doux.
Le titre de la pièce résume à merveille les interrogations qui apparaissent chez Sigismond et traduisent cette mélancolie, propre aux auteurs baroques, qui voit avec tristesse le temps qui passe et ravage tout. Tirée de la fin de la deuxième scène, la phrase «
la vie est un songe » traduit à la fois un souci religieux et philosophique. Philosophique, car elle invite à se méfier de la vie et de ses attraits où tout n'est qu'illusion et apparence, et bien plus encore dans cette Espagne du Siècle d'Or où l'étiquette est très présente et où les valeurs des hommes et des femmes doivent correspondre à leurs rangs sociaux. Cette illusion, Sigismond la ressent dans sa prison et, même durant la troisième journée, il redoute que ce qu'il vit soit encore un rêve.
Religieuse, car selon les préceptes chrétiens hérités de saint Augustin, cette vie n'est que l'antichambre de la vraie vie, éternelle, qui viendra après la mort. En ce sens, les hommes ne sont que des morts en puissants, des dormeurs rêvant de ce qu'ils croient être.