Le 18 septembre 2014, les Écossais se sont prononcés sur leur futur. A 55.3 %, ils ont refusé d'engager un processus qui aurait pu leur permettre d'accéder à l'indépendance dans les deux ans.
Professeure de civilisation britannique,
Edwige Camp Pietrain scrute l'évolution de l'Écosse depuis plus de vingt ans. En 200 pages très denses, elle résume les enjeux du référendum. Son livre, opportunément publié quelques mois avant cette échéance capitale, constitue une synthèse pédagogique et équilibrée aussi stimulant à lire avant le 18 septembre qu'après.
Il est divisé en deux parties. La première est chronologique : elle décrit la genèse du référendum. La marche vers l'indépendance – ou plutôt à la restauration d'une indépendance perdue en 1707 avec le Traité d'union – est en effet un processus de long terme. Mécontents de la dévolution administrative (on parlerait en français de déconcentration), les Écossais ont embrassé avec enthousiasme la dévolution législative (ou décentralisation) qui leur a été offerte par
Tony Blair. Un parlement régional a été mis en place, à Holyrood, un quartier d'Édimbourg, afin de gérer un certain nombre de compétences transférées. Dans l'esprit des travaillistes, la dévolution devait répondre aux aspirations indépendantistes des Écossais. Mais le Scottish National party (SNP), malgré un mode de scrutin qui lui était défavorable, a réussi à remporter en 2011 la majorité des sièges aux élections régionales. Emmené par un leader charismatique, Axel Salmond, il a obtenu de Londres en octobre 2012 le droit d'organiser un référendum qui, si le Oui l'avait emporté, aurait pu conduire l'Écosse à l'indépendance sous dix-huit mois.
Dans la seconde partie de son livre,
Edwige Camp-Pietrain examine les enjeux de la campagne, dans les domaines institutionnels, économiques ou de politique étrangère. Les nationalistes de Yes Scotland ont mené une campagne placée sous le sceau de l'optimisme pariant sur la manne pétrolière pour baisser la pression fiscale sur les entreprises afin d'attirer les investissements (sur le modèle de l'Irlande, pourtant mis à mal par la crise de 2008) et pour protéger les acquis sociaux. En politique étrangère, Yes Scotland a défendu une ligne plus européenne et plus pacifiste que celle défendue par Londres, même si le projet initial de sortie de l'OTAN a été finalement abandonné.
Better together, coalition hétéroclite des trois partis « unionistes », les Travaillistes, les Conservateurs et les Libéraux-démocrates, a mené une campagne réactive, insistant sur les dangers de l'indépendance – au point d'être caricaturée par les nationalistes sous le sobriquet Project fear. En matière économique, ils ont mis en cause la Salmonomics, ce « néo-libéralisme avec un coeur » qui, en réduisant les recettes et en augmentant les dépenses aurait tôt fait de creuser les déficits. En politique étrangère, ils ont brandi le spectre d'une Écosse indépendante mais isolée, rejetée aux marges de l'Union européenne (la ré-admission automatique de l'Écosse dans l'UE n'étant rien moins que certaine), membre d'un « arc de la prospérité » nordique transformé depuis 2008 en « arc de la faillite ».
Cette stratégie a payé. Les Écossais, plus patriotes que nationalistes, n'ont pas osé franchir le Rubicon. Pour autant, le Non du 18 septembre ne sonne pas le glas des espoirs indépendantistes. La dévolution législative porte en elle la demande toujours renouvelée de pouvoirs accrus. Qu'elle soit sanctionnée juridiquement ou acquise de facto, l'indépendance semble constituer un avenir probable sinon certain pour l'Écosse.