la vie est plus cruelle que nous. C'est peut-être pour cela que j'ai du mal à me sentir coupable.
Dans un monde injuste ou indifférent, l'homme peut se sauver lui-même, et sauver les autres, par l'usage de la sincérité la plus simple et du mot le plus juste.
[Préface de Pierre-Louis Rey] La Malentendu signifie grâce à un fait divers tragique (...) le tragique de l'existence.
Le Malentendu
Martha :
Tout ce que la vie peut donner à un homme lui a été donné. Il a quitté ce pays. Il a connu d’autres espaces, la mer, des êtres libres. Moi, je suis restée ici. Je suis restée, petite et sombre, dans l’ennui, enfoncée au cœur du continent et j’ai grandi dans l’épaisseur des terres. Personne n’a embrassé ma bouche et même vous, n’avez vu mon corps sans vêtements. Mère, je vous le jure, cela doit se payer. Et sous le vain prétexte qu’un homme est mort, vous ne pouvez vous dérober au moment où j’allais recevoir ce qui m’est dû. Comprenez donc que, pour un homme qui a vécu, la mort est une petite affaire. Nous pouvons oublier mon frère et votre fils. Ce qui lui est arrivé est sans importance : il n’avait plus rien à connaître. Mais moi, vous me frustrez de tout et vous m’ôtez ce dont il a joui. Faut-il donc qu’il m’enlève l’amour de ma mère et qu’il vous emmène pour toujours dans sa rivière glacée ?
Non, les hommes ne savent jamais comment il faut aimer. Rien ne les contente. Tout ce qu'ils savent, c'est rêver, imaginer de nouveaux devoirs, chercher de nouveaux pays et de nouvelles demeures. Tandis que nous, nous savons qu'il faut se dépêcher d'aimer, partager le même lit, se donner la main, craindre l'absence. Quand on aime, on ne rêve à rien. (...) C'est pour cela que l'amour des hommes est un déchirement. Ils ne peuvent se retenir de quitter ce qu'ils préfèrent.
Il en a terminé avec ce monde. Tout lui sera facile, désormais. Il passera seulement d'un sommeil peuplé d'images à un sommeil sans rêves.
"Le Malentendu" - pièce en trois actes -
Après une absence de vingt ans, Jan revient en Bohême dans l'auberge tenue par sa mère et par Martha, sa soeur, qui ne le reconnaissent pas.
Par jeu et par curiosité, il décide de cacher jusqu'au lendemain son identité.
Dans la nuit, les deux femmes l'endorment et, après l'avoir dépouillé, le jettent dans la rivière comme elles avaient coutume de le faire avec tous les riches voyageurs de passage.
Apprenant au matin, de la bouche m^me de la femme de Jan, l'identité de leur victime, la mère se noie et Martha se pend.
(extrait de "Récits, pièces et essais" de " Albert Camus" de la collection "Génies et Réalités" parue aux éditions "Hachette" en 1964)
MARTHA — Qu'est-ce que l'automne ?
JAN — Un deuxième printemps, où toutes les feuilles sont comme des fleurs.
Une piece qui nous plonge des le debut dans une ambiance etrangement morbide mais a la fois mysterieuse et profondement tragique . Un grand aspect sombre sous jacent de cache derriere un drame familial . Mais c'est surtout la fin de la piece edifiante et tetanisante . L'absurdite du monde et sa tendre mais cruelle indifference se cristallisent sous la forme de personnages entre monstres et humains a la sensibilite exacerbee
Je suis lasse , en effet , et j' aimerais qu' au moins celui-là soit le dernier . Tuer est terriblement fatigant . Je me soucie
peu de mourir devant la mer ou centre de nos plaines, mais
je voudrais bien qu' ensuite nous partirons ensemble .