Vivre avec un dieu n'est pas une sinécure, songea Yaga. Ces êtres là sont persuadés que leur femme doit être heureuse de leur seule présence.
La fameuse "intuition féminine" n'était nullement de l'intuition, mais une capacité supérieure d'observation, l'enregistrement inconscient d'indices subtils.
Mais qu'est ce qui lui avait pris de jouer avec un animal pareil ? Si on pouvait parler d'animal dans le cas d'un ours qui avait survécu au moins quinze ans sous un tas de feuilles pour garder une jeune femme étendue, intacte, sur un piédestal ; et d'ailleurs il ne s'agissait sûrement pas de quinze ans, mais de bien plus : de plusieurs siècles !
Malgré tous les contes qu'il avait lus et étudiés, il y avait une éventualité qu'il n'avait jamais envisagée : qu'ils soient vrais, ou possèdent un fond de vérité, que le monde admette pour de bon l'existence d'ours magiques géants capables de lancer des pierres, de jeunes femmes ensorcelées qui pouvaient demeurer éternellement dans le coma dans l'attente de ...
Le corps décline à partir de quarante ans, mais l'esprit continue de s'améliorer ; à quoi bon investir dans la partie périssable ? Si tu fractionnes tes centres d’intérêt, tu ne réussiras dans aucun.
Dans les contes occidentaux, on se mariait, on avait beaucoup d'enfants et l'histoire s'achevait là ; dans les légendes russes, on allait bien au-delà - jusqu'à la trahison, à l'adultère, au meurtre, tout cela dans le cadre du mariage romantique où le héros de passage se trouvait pris par hasard. Le vieux conte de la Belle au bois dormant se terminait peut-être bien en France ou dans les pays anglo-saxons, mais Ivan se trouvait en Russie et il fallait être fou pour avoir envie de vivre la version russe d'un conte de fée.
- Elle sait ce que je pense au moment où je le pense.
- Dommage qu'elle ne le sache pas avant : tu n'aurais plus besoin de penser du tout.
Si le roi avait décidé de marier sa fille à Ivan, se défiler risquait de s'avérer assez délicat. Quant au baptême, ma foi, l'Histoire était jonchée des cadavres de ceux qui n'avaient pas trouvé la bonne façon de dire "non merci" à un évangéliste fervent armé d'une épée.
L'histoire était jonchée des cadavres de ceux qui n'avaient pas trouvé la bonne façon de dire "non merci" à un évangéliste fervent armé d'une épée.
Perdu dans ses réflexions, Ivan laissa la conversation se dérouler autour de lui sans y prêter grande attention. Se méprenant sur sa distraction, Sergeï lui glissa à l'oreille :
- Ne craignez rien. Je crois que Dieu vous a choisi pour accomplir une grande oeuvre.
A quoi Ivan répondit sur le même ton : "Il avait aussi choisi son propre fils, et vous avez vu le résultat !"
Alors tu pourras te repaître de chair féminine ! Qu'en dis tu, mon bel ours ?
- Que je préfère le poisson. Mais je ne dérange jamais ma femme quand elle fait la cuisine.
- Très drôle, grinça Baba Yaga. Comme si je cuisinais !
- Comme si je pouvais avaler en toute confiance ce que tu me donnes à manger ! répliqua Ours.
- ça t'arrive parfois, pourtant.
- Oui, mais tu m'empoisonnes à chaque fois.
- Si c'était vrai, tu n'en saurais rien parce que tu serais mort.
- Tu m'empoisonnes à petite doses. A chaque repas, c'est une nouvelle potion ou une nouvelle poudre, et je ne sais jamais, si je vais me retrouver atteint de dysenterie, de migraine, d'impuissance ou de priapisme.
- A t'entendre, on croirait que je te fais constamment du mal.
[...]
- Si tu ne m'as pas tué depuis longtemps, c'est uniquement parce que tu en es incapable.
- Non, c'est parce que je t'aime. Et l'enchantement que je t'ai imposé n'est pas si déplaisant : tu apprécies assez d'être doué de la parole.