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Critique de michfred


Em' est jaloux de Shakespeare, Em' traite ses amis et bienfaiteurs de tous les noms, Em' abandonne celle qui travaille pour qu'il écrive, Em' préfère les femmes laides parce qu'en vieillissant elles déçoivent moins que les belles...

Em' est battu comme plâtre par sa mère morphinomane qu'il aime,par sa tante acerbe et dure qu'il vénère, par son frère aîné mort en 1918 qui l'indiffère, et pourtant pas par son père, un commerçant réactionnaire et tyrannique qu'il déteste, cordialement....

Em' cherche l'amour d'une femme mais ne peut leur donner le sien tant elles le remplissent toutes d'effroi; ses amitiés amoureuses pour les hommes le conduisent à des scènes de jalousie violente, Em' crève de faim, de froid, de misère et use ce qui lui reste de santé à faire la vaisselle et à servir dans des restaurants qui ne le gardent jamais longtemps, Em' veut être publié, admiré, gratifié... Il rêve d'être Rimbaud...

.Em' est malade: la syphilis, croit-on, mais c'est encore pire: une encéphalite léthargique qui le fait trembler, somnoler, marcher et parler avec difficulté ,il va, traînant la jambe, bouche béante et yeux exorbités, comme un débile profond, alors que son esprit et sa plume sont d'une alacrité confondantes...

Em' est Italien, mais il quitte l'Italie à 16 ans pour émigrer à New York, puis à Chicago, il écrit toute son oeuvre en anglais, revient en Italie à 25 ans et y meurt à 45 ans, dans un hôpital neurologique.

Emanuel Carnevali est un cas, un fou, un vrai poète maudit , comme dans les romans..."Une bombe qui n'a pas explosé, et non explosible" dit-il de lui-même.

Les éditions La Baconnière ont entrepris d'éditer ses oeuvres complètes dans une fort élégante présentation: photo de couverture floutée par une jaquette en papier calque, préface d'Enidio Clementi (écrivain et musicien fondateur du groupe rock Massimo Volume), notice biographique, témoignages d'écrivains américains, et intégralité de ses oeuvres en prose: "Le Premier Dieu", et des pièces d'inégale longueur qui s'apparentent tantôt à de courtes nouvelles ,à des esquisses de récits, ou à de vrais poèmes en prose. La traduction de Jacqueline Lavaud est soignée et restaure le texte original, censuré par sa première traductrice pour l'Europe, Maria-Pia Carnevali qui n'était autre que sa demi-soeur...Bref du travail soigné et une entreprise de réhabilitation intéressante et méritée.

J'ai abordé cette lecture sans rien connaître de l'auteur, ni rien lire à son propos, j'ai donc "vécu" cette approche comme Candide: sans préjugé et sans attente.

J'ai d'abord été très déconcertée par les sautes d'humeur, les illogismes, les changements de focale, les coq-à-l'âne de son autobiographie , avant d'être exaspérée par le nombrilisme victimaire du narrateur et sa redoutable faculté de dénigrement - Em' est aussi une véritable langue-de-pute, si l'on me passe l'expression!- puis j'ai commencé à entrer en empathie: la folie, la maladie, la misère, la jeunesse et le courage de ce jeune immigré passionné et écorché vif, perdu dans la jungle des villes américaines, m'ont touchée puis attachée. Enfin j'ai été conquise par certaines pièces en prose, de vrais joyaux, dignes de figurer parmi les Illuminations rimbaldiennes: mention spéciale à "La danse est un art" et, dans le Journal de Bazzano, à son autoportrait, page 223

:"Cet homme étrange et drôle quand il parle: c'est moi.
Cet homme avec en permanence un crapaud flagorneur au bord des lèvres: c'est moi.
Cet homme au rire facile et excessif: c'est moi. (....)
Cet homme qui n'est pas assez fort pour haïr quiconque: c'est moi.
S'il hait quelque chose, il hait la littérature, uniquement à cause de sa propre petitesse."

Je remercie Masse critique , Babelio et les Editions La Baconnière pour cette rare expérience: découvrir au fil des pages un être inconnu, incompris et plein de rage et faire apprécier, puis aimer, par touches successives, une écriture violente comme un cri, douloureuse comme une blessure à vif..

Je recommande cette lecture à tous ceux qui aiment les rencontres un peu dérangeantes et qui ne craignent pas de se laisser apprivoiser par les chiens enragés...



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