Lu dans le cadre de l'opération Masse Critique.
J'aime l'Italie, j'ai un faible. Donc un a priori positif. Autre a priori positif un antécédent de lecture italo-us,
John Fante, et puis la référence à
Bukowski (bien que celui-ci soit postérieur à Carnevali) ou celle à
Hamsun... Bref, j'attendais beaucoup.
Le livre, l'objet, édité par LaBaconnière, est réussi, sobre et un rien original dans sa couverture double, une seule coquille trouvée dans le texte : très bien.
Maintenant, le contenu,
le Premier Dieu et autres proses.
La partie dite autobiographique est relativement inégale pour moi, elle oscille entre platitudes et surprenantes métaphores extrêmement bien vues et originales, un peu comme la couleur blanc, gris, noir de la couverture, il y a énormément de différences de niveau, d'éclair(age)s dans le texte.
L'histoire du personnage Carnevali c'est l'histoire d'un nul et non avenu, d'un laissé pour compte, d'un talent? oublié, de petites misères, de déchéance, de fulgurances parfois. Néanmoins, la réalité est que personne ou presque ne le connaît et qu'il y a fort peu de choses écrites par lui et publiées par d'autres... Triste. En cela je me retrouve personnellement et quelque part à mon coeur il gagne des points.
"Parfois, c'étaient les poèmes qui consumaient mes pensées, s'avançant dans mon cerveau comme une armée de fourmis ou me dévorant comme autant de vers. Mais à quoi bon cette obsession pour les mots, me disais-je, s'il n'est personne pour les écouter ?"
Un extrait illustrant le style Carnevali : "A l'Hotel of Spain, je trouvai un nouvel emploi et dans la 29e Rue une nouvelle chambre. (Combien de moi-même ai-je laissé dans les chambres meublées ? Autant que de cheveux laissés sur chaque oreiller ? Quelle part de ma vie a été déchirée, lacérée, mortifiée et asservie par les chambres meublées d'Amérique ? Si toutes les heures que j'ai passées dans les chambres meublées pouvaient durcir comme les grains d'un rosaire, elles formeraient les notes d'un cri sans fin qui parviendrait, peut-être aux oreilles de Dieu. ..."
Oh, j'oublie de dire que son histoire se passe de 1897 à 1942, soit un monde tourmenté, une Italie fasciste de Mussolini, une Amérique de la prohibition et de la crise... Pas facile, quoi.
Carnevali était un écorché vif, un Italien, avec un rapport aux femmes remplis de cliché, l'attachement à elles comme à une mère, les femmes-putes méprisables, la peur et l'intérêt ultime. de quoi fait bondir les féministe aussi.
"Annie, je ne me suis jamais abaissé à demander un seul cadeau à cette grande dame inflexible qu'est la vie. Je me suis contenté de broder un manteau de rêve régalien pour recouvrir mes os tremblants.'
Il décrit et parle beaucoup de ses rapports compliqués tout autant avec Dieu, un dieu qui finalement est bien utile quand il se désespère, utile à haïr, inutile à invoquer, oublieux, méprisant aussi, tout comme Carnevali lui-même évidemment.
Carnevali parle d'amis, ou de non-amis, de ses amours ou non-amours, de sa famille (mère, frère, père, tante...) tout ce qui sème une vie, parsème une vie, n'importe quelle vie, de la plus banale des vies à la plus folle... Carnevali ne cesse de s'interroger sur sa propre folie, renvoyée ou évaluée à l'aune de ses rencontres, et de ses passages au sanatorium ou dans une Villa "psychiatrique"... Se rassure, s'inquiète, nous rassure, nous inquiète.
Déçu de l'école, débarque dans l'école de la vie, petits boulots minables en tentant en vain d'écrire et d'être publié (pas spécialement génialissime dans ces parties vécues,
Bukowski est nettement plus amusant et tout autant descriptif). Aidé financièrement parfois, par quelques-uns, abandonné parfois ou est-ce lui qui ne cesse d'abandonner...
"Tout ce que nous apprenions en classe, nous l'aurions fatalement oublié, car l'école est un lieu où l'on oublie tout ce dont on devrait se souvenir et où l'on se souvient de tout ce que l'on devrait oublier."
Le livre c'est l'Italie aimée, pleine de saveurs et de sensations nostalgiques et l'Amérique idéalisée et décevante, grise (comme ce livre) et les rebondissements entre elles. L'Italie il y nait et il y meurt, l'Amérique il y passe. Où disparaissent les nuages ? Ses larmes qui sortent trop puis ne sortent plus...
"Adieu, ravioli de Milan, zampone de Modène, agnolotti de Turin, spaghettis à la napolitaine, adieu ! Et pourtant, je n'éprouvais pas la nostalgie de ces mets en quittant l'Italie. C'était l'essence, la part exquise de l'Italie que je quittais, peut-être à jamais. Je me souviens qu'en Amérique, lorsqu'il m'arrivait de chanter dans les rues une chanson italienne, je me mettais à pleurer comme un sot. Une chanson peut parfois signifier une nation tout entière. On peut en outre éprouver d'autant plus de nostalgie pour un pays qu'on y a beaucoup souffert. Avec le temps, la nostalgie devient une sorte de dédommagement de la souffrance. Il y a toujours une grande sensation d'humilité avec le pays où l'on a souffert, c'est avant tout cette humilité dont on ressent le manque lorsqu'on est loin."
Au fond, le livre c'est l'expression de regrets, de tentative de réconciliation ou de pardon, pour finir en paix... Réussi ou raté, qui sait ?
Quant à "Les autres proses"...Sur de petites et grandes choses là encore, sur de petites gens, et sur de grands sentiments... On brasse là encore platitudes et fulgurances émouvantes ou stylistiques. Ca reste (in-)cohérent. [Sourire]
"La nuit, et les amis qui pensent et ne pensent pas à moi, m'effraie. Les amis ont peur de plonger en moi, comme si j'étais à leurs yeux un étang aux eaux vertes et trompeuses. Il est vrai que mon visage est souvent vert."
Figure aussi une partie nommée "Une Histoire" "Journal de Bazzano, 1928",suite de petites saynètes plus ou moins réussies (in-)également. J'ai particulièrement apprécié le 25 juillet.
Les trois témoignages respectivement de
William Carlos Williams,
Sherwood Anderson et Robert MCalmon n'ajoutent pas beaucoup, ils confirment un personnage dans ce qui a été (d-)écrit tout du long de l'ouvrage. Pas spécialement une plus-value. Pareil pour la notice biographique, pas spécialement de plus.
J'ai lu sans déplaisir cet ouvrage-recueil, je ne suis pas certain de m'être fait un ami indispensable en cet auteur et donc pas certain de le suivre, ou plutôt de suivre ce que ses amoureux en publieront. Il vaut le coup d'oeil et il n'est pas incertain que vous, personnellement, n'en tombiez amoureux. Allez savoir.
Je laisse les derniers mots à Carnevali :
"Mais la nuit, la lampe à gaz est le soleil d'un monde malade et la table, les chaises, la bibliothèque sont desséchés, silencieux et tristes comme des lépreux. La bibliothèque. Les livres. N'importe quel livre. La première ligne du premier livre entraîne toutes les lignes de tous les livres ; je les ai tous dans le sang, ces petits microbes noirs - dès qu'on en a lu un, on est contaminé et la maladie s'installe.Ils crient si fort ! C'est une honte de laisser imprimer des choses pareilles ! Ca ne vous fait pas peur ? Et nous, lecteurs, nous passons devant les tombes béantes de ces livres, devant ces corps déchiquetés, nous regardons un homme sortir un bras de sa tombe et agiter devant nous son soeur sanguinolent... et nous disons "J'aime... j'aime... je n'aime pas..."