Voici un superbe thriller historique , derrière ce titre intrigant se cache deux destins en théorie , diamétralement opposés mais présentant quelques similitudes.
L'auteure conte l'histoire d'un fait divers du tout début du XX° siècle: Jeanne et Lena , l'une en 2017 à Paris , octogénaire passive , retraitée , fataliste qui organise sa vie pour ne pas sombrer , l'autre Lena de 1880 à 1909 à Saint- petersbourg , afin de mettre en lumière les violences faite aux femmes, sexuelles ou physiques.
Les deux histoires se croisent au fil des chapitres , l'auteure choisit de les mettre en corrélation , ce qui rend compte de leurs choix sans les juger.
Lena , première femme russe féministe était aussi une fameuse criminelle , terrible justicière , condamnée à mort le 9 juillet 1909, le fameux point de bascule ou l'instant où la vie change de cours : soit que l'on devienne un criminel ou une victime , Lena: Alexandra Grigorievna Popova née en 1866, perdra son mari en 1891 , lors de l'incendie de leur maison à Samara , puis se fera la justicière, se mettra au service des femmes afin de les soulager: « Au seuil de l'Isba une femme pleurait sous le joug d'un homme » .
« Elle a délivré presque trois cents malheureuses » .
Nous plongeons dans les prémices de la révolution russe , le chaos , la famine dans la Russie de ces années -- là : , « La famine devenait malédiction ». « On parlait de châtiment divin, de fin du monde. ».
« On avait dévoré tout ce qui marche , rampe , pousse , sur et sous la terre. On mastiquait le cuir des bottes , le papier des livres, la toile des sacs. On arrachait les dernières feuilles, on mâchait l'herbe , la mousse, la neige . On mangeait les vêtements , les cheveux , les ongles , les déjections » .
La Russie vit les derniers feux de l'autocratie .
L'auteure souligne avec force l'apathie du peuple russe, , son indolence, sa soumission au sort, tout ce pan de l'âme russe que la révolution lavera, secouera , nettoiera , le battra pour qu'il en sorte autre chose,..
Lena fait bouger les choses à sa manière , fort ,en quête de reconnaissance , sans que son sexe devienne une entrave.
Jeanne , dans le Paris littéraire, de 2017 , finit par s'habituer , trouve des fils auxquels s'arrimer , « On les tisse, on s'en enveloppe , on se calfeutre » dans le souvenir de son Maurice disparu lors d'un accident à Samara, et de son travail à L'Opéra , jusqu'à sa rencontre avec Paul Brideau , écrivain qui cumule les conquêtes ...
Ces deux femmes humiliées , bafouées, violentées se vengeront : « Vengeance, tu seras »
N'en disons pas plus...
La fin est géniale , je m'y attendais un peu mais quand même !
Le style est fluide, l'auteure fait preuve d'un incroyable talent de conteuse , au début , les deux histoires ont du mal à imprégner le lecteur puis Ève de Castro nous fascine, nous bouscule, nous séduit jusqu'à la dernière page par son écriture travaillée ses évocations lyriques , à la fois réalistes , visuelles , presque cinématographiques de la pré - révolution russe.
Un très bel ouvrage où la tendresse côtoie l'humour et le dispute à la gravité des moments .
J'ai préféré les chapitres consacrés à la Russie , écrits dans une police différente des chapitres du Paris contemporain.
J'avais lu «
le roi des ombres »en 2013 et «
Nous serons comme des dieux » , il y a longtemps.
« Tu prônes la nécessité du sacrifice sur l'autel de la liberté . Tu prétends lutter pour la délivrance du peuple russe .
Mais que sais- tu de nos souffrances camarade
LÉNINE? » .....
« Dans ta chair , qu'en sais - tu ? »....