[ lu après avoir vu le film de Nina et Robert Denis : Cavanna / Jusqu'à l'ultime seconde j'écrirai ]
Film ou livre, deux canaux valent mieux qu'un seul pour écouter la voix de Cavanna ; chacun choisira suivant ses habitudes, ses envies et ses moyens. Je conseille les deux. Dans le film il y a d'autres voix que celle de Cavanna, d'autres visages, c'est vrai. Mais un bouquin, on peut le garder pas loin, le reprendre quand on veut, le corner (plus respectueusement, le jalonner de post-its)... et si on a vu le film avant, les autres, ceux qui ont parlé de lui, on les comprend mieux ; des choses mystérieuses ou étonnantes s'éclairent.
Par exemple cette histoire incroyable de... burn-out ! Non, Cavanna n'utilise pas ce terme modeux-affreux, et pourtant l'épisode qu'il raconte dans le film et dans le livre serait aujourd'hui qualifié de tel. Cramé par les soucis et responsabilités du temps de Hara-Kiri au début des années soixante, rongé par l'insomnie, il rate de peu une téesse par pendaison.
C'est bien aussi que dans le film, on ne sache pas vraiment (en tout cas moi, je ne savais pas) qui est cette Petite Virginie (peu de témoignages filmés féminins, j'ai retenu sien et de celui de Sylvie Caster)... La découverte que l'on fait dans le livre de ce personnage poétique, un genre de fée Clochette, est encore plus étonnante, mystérieuse et touchante. La Petite a dix-huit ans (lui, quarante-cinq de plus) quand elle vient lui dire à un salon du livre qu'elle l'aime très fort et pour la vie depuis qu'elle a lu un de ses livres, à l'âge de douze ans ! Par la suite, elle lui écrivait naïf et piquant, mais jamais de compliments : elle lui avait dit son admiration une fois pour toutes, ça suffisait. Il répondait parfois ou faisait un petit dessin. Ils se rapprochent des années plus tard quand elle monte à Paris pour travailler dans l'édition. Leur amitié-complicité respectueuse et pudique illumine les dernières années de Cavanna qui rend un bel hommage littéraire à son amie Virginie Vernay dans Lune de miel.
Pas d'ordre chronologique rigoureux dans la juxtaposition des fragments autobiographiques (courts) qui composent Lune de miel (c'est ainsi qu'on qualifie les courtes rémissions inattendues de la maladie de Parkinson). Ça commence à Berlin, au camp STO, avec les russkoffs, Maria et les autres, l'horreur quotidienne sous les bombardements. Puis le rital de Nogent se souvient de son enfance simple et heureuse au bord de la Marne, de ses lectures de bon élève, de la naturalisation de ses parents. Allers-retours présent-passé. Des anecdotes qu'il transforme en fables humanistes. Petits et grands ennuis de la vieillesse, avec lucidité, sans pathos. L'amertume d'avoir accordé sa confiance et son admiration à un mec bidon, bouffi d'ambition (chapitre à clé !). Quelques chroniques d'humeur aussi, savoureuses, comme celle sur son aversion des nouvelles technologies.
Parfois, on n'est pas loin du charme nostalgique et acide des chroniques de Calet, ainsi : la visite au lotus impérial du Jardin des Plantes, le perroquet de Saint-Julien-le-Pauvre, et le robinier de la place Maubert.
Il s'est trompé sur une chose, Cavanna. :
" Tant que je pourrai écrire une ligne, je serai présent parmi les vivants. Elle ne m'aura pas. "
- Non, François : tant qu'un lecteur peut lire cette dernière ligne et celles qui l'ont précédée, il est vivant, Cavanna ! On est assez nombreux pour une petite éternité car quand un lecteur tombe, un autre sort de l'ombre à sa place ... (je blague, un peu)
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