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EAN : 9782070132065
288 pages
Gallimard (01/01/2011)
4.01/5   67 notes
Résumé :
Cavanna, trente ans après Les Ritals et Les Ruskoffs, nous offre un tableau réjouissant de souvenirs, réflexions et anecdotes. Avec toujours la même verve et la même insolence, il évoque la période du STO en Allemagne, l'aventure de Hara Kiri ou les atteintes de l'âge. Sans rien oublier de ses origines, il reste ouvert aux mouvements du monde. Une gouaille formidable anime le récit de sa jeunesse outre-Rhin et, loin de tout pathos, il sait rendre touchante et drôle ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Lune de miel est un récit ou François Cavanna mèle anecdotes, souvenirs, coups de gueule et coups de blues. Car l'auteur doit composer avec un adversaire qui joue les sournois, il est atteint de la maladie de Parkinson. Et cette fameuse lune de miel étant la période ou la maladie reste en sommeil. Cavanna n'a rien perdu de sa gouaille, de son humour, de sa jubilation à vivre pleinement malgré les années et la Miss Parkinson qui lui pourrit la vie. de sa période comme STO en Allemagne, de ces amours, de ces enfants, de ces potes, de l'aventure de Hara kiri et celle de Charlie Hebdo, jusqu'à sa rencontre avec une jeune lectrice devenue sa confidente, on rit, on s'émeut, on
se passionne pour un homme fidèle à ces idéaux et terriblement touchant. Un vrai bonheur de lecture car qu'est ce qu'il écrit bien le bougre. Et comme, il le dit lui même "S'il est une chose dont je suis certain, c'est que personne ne s'impatiente de l'autre côté" espérons qu'il soit entendu encore pour quelques années. Merci Monsieur Cavanna pour ce magnifique moment passé avec vous.
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La gouaille truculente et légendaire de François Cavanna, même affaibli par la maladie, il nous fait découvrir ou revisiter 25 ans d'écriture, quelques mises au point sur des désaccords entre comparses entretenant une certaine liberté tant sur la parole des faits pas toujours en accord avec la moralité des moeurs, que certains de ses collègues infligeaient aux femmes gravitant dans le sérail d'une presse aux goûts douteux qui se vendait à la criée. Cavanna ne nie, ne renie rien; il reconnaît une participation franchouillarde ou il s'avérait complice d'une dictature passe partout. Cavanna, prétend avoir mal aimé, ou trop aimé les femmes, mais pas toutes les femmes. Il regrette amèrement ses dérives à une époque où tout était permis, son côté politisé l'emporte et lui ouvre une voix insoupçonnée, celle du journalisme prodige lyrique, révolté gargantuesque de l'écriture, lui qui excellait dans la langue vivante du bon et du beau français n'a cessé de nous éblouir dans ses récits autobiographiques en véritable reporter de guerre, apportant des témoignages vivants à la grande Histoire de France. La critique satirique, honnie de la bonne bourgeoisie traditionnelle, pire les arrivistes de tous bords, affiliés aux nouveaux riches, ronds de cuir de la République, des ennemis du peuple dont Cavanna avec sa grande gueule n'ira jamais bombé le torse sur les barricades, encore moins agité le drapeau de l'insurection, bravant la révolution sous le nez de la police, il reconnaît son manque de courage physique, mais ses journaux eux, ne seront pas épargnés par les gouvernants de l'époque. Au fil des ans il a su convaincre et fidéliser bon nombre de lecteurs. Et puis un jour, à un age avancé une nouvelle compagne est entrée dans sa vie sans y être invitée. Elle s'impose la garce de maladie! la Parkinson. Elle le torture à vif, comme pas possible faisant irruption sans la moindre lueur d'espoir de voir partir cette union aux orties, alors pour feindre l'ampleur des dégâts, il doit s'accommoder de miss Parkinson, lui attribuant l'illusion ou surnom de Lune de miel, que les jeunes épousés adorent...Sauf que lui nous donne l'ampleur d'un mariage forcé pas au goût ni au bout de ses propres douleurs où la dérision l'emporte rattachée aux symboles lunaires, et le goût trop sucré tout aussi symbolique que le miel enrobant les meurtrissures indéfinissables, les tremblements secouant ses belles mains d'écrivain. Non d'un chien...! il ira jusqu'au bout de sa passion.
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[ lu après avoir vu le film de Nina et Robert Denis : Cavanna / Jusqu'à l'ultime seconde j'écrirai ]

Film ou livre, deux canaux valent mieux qu'un seul pour écouter la voix de Cavanna ; chacun choisira suivant ses habitudes, ses envies et ses moyens. Je conseille les deux. Dans le film il y a d'autres voix que celle de Cavanna, d'autres visages, c'est vrai. Mais un bouquin, on peut le garder pas loin, le reprendre quand on veut, le corner (plus respectueusement, le jalonner de post-its)... et si on a vu le film avant, les autres, ceux qui ont parlé de lui, on les comprend mieux ; des choses mystérieuses ou étonnantes s'éclairent.


Par exemple cette histoire incroyable de... burn-out ! Non, Cavanna n'utilise pas ce terme modeux-affreux, et pourtant l'épisode qu'il raconte dans le film et dans le livre serait aujourd'hui qualifié de tel. Cramé par les soucis et responsabilités du temps de Hara-Kiri au début des années soixante, rongé par l'insomnie, il rate de peu une téesse par pendaison.


C'est bien aussi que dans le film, on ne sache pas vraiment (en tout cas moi, je ne savais pas) qui est cette Petite Virginie (peu de témoignages filmés féminins, j'ai retenu sien et de celui de Sylvie Caster)... La découverte que l'on fait dans le livre de ce personnage poétique, un genre de fée Clochette, est encore plus étonnante, mystérieuse et touchante. La Petite a dix-huit ans (lui, quarante-cinq de plus) quand elle vient lui dire à un salon du livre qu'elle l'aime très fort et pour la vie depuis qu'elle a lu un de ses livres, à l'âge de douze ans ! Par la suite, elle lui écrivait naïf et piquant, mais jamais de compliments : elle lui avait dit son admiration une fois pour toutes, ça suffisait. Il répondait parfois ou faisait un petit dessin. Ils se rapprochent des années plus tard quand elle monte à Paris pour travailler dans l'édition. Leur amitié-complicité respectueuse et pudique illumine les dernières années de Cavanna qui rend un bel hommage littéraire à son amie Virginie Vernay dans Lune de miel.


Pas d'ordre chronologique rigoureux dans la juxtaposition des fragments autobiographiques (courts) qui composent Lune de miel (c'est ainsi qu'on qualifie les courtes rémissions inattendues de la maladie de Parkinson). Ça commence à Berlin, au camp STO, avec les russkoffs, Maria et les autres, l'horreur quotidienne sous les bombardements. Puis le rital de Nogent se souvient de son enfance simple et heureuse au bord de la Marne, de ses lectures de bon élève, de la naturalisation de ses parents. Allers-retours présent-passé. Des anecdotes qu'il transforme en fables humanistes. Petits et grands ennuis de la vieillesse, avec lucidité, sans pathos. L'amertume d'avoir accordé sa confiance et son admiration à un mec bidon, bouffi d'ambition (chapitre à clé !). Quelques chroniques d'humeur aussi, savoureuses, comme celle sur son aversion des nouvelles technologies.


Parfois, on n'est pas loin du charme nostalgique et acide des chroniques de Calet, ainsi : la visite au lotus impérial du Jardin des Plantes, le perroquet de Saint-Julien-le-Pauvre, et le robinier de la place Maubert.


Il s'est trompé sur une chose, Cavanna. :

" Tant que je pourrai écrire une ligne, je serai présent parmi les vivants. Elle ne m'aura pas. "

- Non, François : tant qu'un lecteur peut lire cette dernière ligne et celles qui l'ont précédée, il est vivant, Cavanna ! On est assez nombreux pour une petite éternité car quand un lecteur tombe, un autre sort de l'ombre à sa place ... (je blague, un peu)


Lien : http://tillybayardrichard.ty..
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Cette "Lune de miel" n'est pas ce que l'on pourrait croire. Cette expression, si elle désigne toujours un moment agréable, concerne la maladie de Parkinson. Il s'agit plus exactement des instants de répit accordés par le mal, faisant croire que tout redevient normal. En réalité, ce n'est qu'une pause avant un retour plus fort encore. Avec son style inimitable et une franchise déconcertante, François Cavanna emmène le lecteur au plus près de ce qu'il vit, de ce que cette maladie lui inflige.
Remontent alors ses souvenirs de la seconde guerre mondiale, du STO (Service du travail obligatoire) en Allemagne (photo ci-dessous), de son enfance, de la formidable aventure de Hara-Kiri puis de Charlie Hebdo et bien d'autres encore qui se bousculent dans sa mémoire. Quand on a aimé le Cavanna des Ritals et des Russkofs, c'est un immense plaisir de lire Lune de miel, même s'il y a une souffrance aussi en découvrant ce qu'endure cet homme âgé de 87 ans.
Il y a surtout cette Virginie que l'on retrouve tout au long du livre. Personnage mystérieux qui s'attache à François Cavanna et effectue un énorme travail à ses côtés, elle est devenue un élément essentiel de sa vie actuelle. Au fil du livre, Cavanna nous offre de savoureux épisodes de sa jeunesse, des débuts de sa vie militante, de la vie au camp de travail, de sa fuite avec Maria, de ses contacts avec l'Armée Rouge, de sa vie familiale…Il nous livre aussi les détails des 25 ans de l'aventure de Hara-Kiri avec « une poignée de talents dont pas un ne ressemblait à un des autres, dont pas un ne pensait comme pensaient les autres. » Choron, Siné, Cabu, Gébé, Wolinski, Reiser, Fournier, Fred, Tignous mais aussi Val se retrouvent au fil des pages. Ainsi, il est possible de comprendre ce qui a fait le succès de leur fantastique aventure ainsi que les échecs qui ont suivi. Avec tout ça, il y a toujours cette Miss Parkinson et ses copines, miss ostéoporose, oedème, phlébite, embolie…Malgré tout, Cavanna continue : « Tant que je pourrai écrire une ligne, je serai présent parmi les vivants. » Et c'est grâce à tout ce qu'il a écrti, que Cavanna reste toujours bien présent parmi nous, comme ses amis de Charlie Hebdo arrachés à nous de manière si tragique.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Pas le meilleur Cavanna, c'est certain. Mais un Cavanna qui mérite lecture quand on s'intéresse un peu au bonhomme. Il est bien loin le temps des "Ritals", et là, l'écrivain ne joue plus et assume (doit assumer) son désormais grand âge (87 ans) et foutue(s) maladie(s) (Parkinson en tête, qui traverse tout le bouquin, jusqu'à lui donner un titre, au bouquin - Lune de miel). le livre consiste en un recueil d'anecdotes, très courtes, parfois excellentes (les toujours truculentes histoires de Nogent sur Marne, et les tragi-comiques souvenirs du STO et de Maria), parfois plus dispensables. Cavanna ronge son frein, se répète, mais ca se lit tout seul. Mieux vaut ne pas découvrir l'univers de l'auteur par ce livre, mais il complète très élégamment sa bibliographie. Mention spéciale à la fin du livre et aux éclaircissements rageurs et aigres sur l'affaire Siné et la figure de Val le mégalo.
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critiques presse (1)
Actualitte
09 juillet 2011
Lune de Miel est le récit d'une vie riche, mouvementée, belle, compliquée, qui aurait pu être mieux à certains aspects, une vie quoi ! […] Avec la maladie, Cavanna vit la plus douloureuse des histoires d'amour.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
"POUR LA FRANCE"

Je devais avoir pas plus de dix ans quand ils se sont mis à nous emmerder vraiment. Les Pouvoirs Publics. Nous, les Ritals. Voyez-vous, c’était la Crise. Il y a toujours une crise. Plus ou moins. Celle-là, c’était la Crise avec la majuscule. Partout. La planète s’était arrêtée de tourner. Faute aux Ricains, paraît. Ils avaient encore joué aux cons. Total… Les usines débauchaient, les chantiers restaient une patte en l’air, les grues rouillaient, ramollissaient et finissaient par se casser la gueule en s’affaissant comme des merdes, avec le petit bonhomme qui roupillait là-haut dans la cabine.

Plus de travail. Seuls les bistrots tenaient le coup. Fallait bien qu’il y ait un endroit pour se réunir et gémir sur la vacherie des temps. À croum, bien sûr. Les ardoises s’allongeaient sur la glace derrière le comptoir. On paierait quand les beaux jours à se crever le cul seraient revenus. Remarquez, il y en a qui y ont tout paumé et ont mangé le rideau de fer. Plus par vengeance que par malhonnêteté. L’ouvrier ne peut pas s’en prendre au patron, encore moins au gouvernement, alors il se venge sur ce qu’il a à portée, sur le gentil troquet qui lui a fait confiance, le con.

Quand on a des ouvriers étrangers et des français, et qu’il faut en mettre la moitié dehors, qu’est-ce qui reste? Pince-moi! T’as tout compris. Et quand un étranger pauvre se trouve sans travail sur le sol de France, on lui fi le un permis provisoire et on lui dit: «Quinze jours. T’as quinze jours pour retourner dans ton bled de merde, et crois pas qu’on va te payer le train.»

Ça s’arrangeait pas. Même, ça empirait. Il paraît qu’à New York on balançait les banquiers par les fenêtres. Du centième étage, si ça se trouve. À Paris, c’est les maçons qu’on voulait foutre à l’eau. À cette époque, tout ce qui était dans le bâtiment était étranger, et tout ce qui était étranger était rital. Valait mieux pas trop se montrer, vu qu’une gueule de Rital, ça fait peut-être moins tache qu’une tronche de Banania, mais ça se repère quand même au premier coup d’œil malveillant. Tous les coups d’œil étaient malveillants, il y a des époques comme ça.

*

Les deux Dominique, les patrons, avaient maintenu vaille que vaille l’entreprise. Arriva quand même le samedi noir où papa ramena sa dernière paye. Suivit le lundi, le premier lundi depuis qu’il tenait sur ses jambes où il n’alla pas au boulot. Et ce fut le chômage. La honte du chômage. J’ai vu papa, perdu dans la queue des sans-travail, baissant le nez, ne sachant où se cacher.

Le bureau du chômage se trouvait dans le commissariat. La queue tournait tout autour de la cour et continuait sur le trottoir de la Grande-Rue, ça gênait l’abord des boutiques, les commerçants faisaient la gueule mais n’osaient pas trop gronder, le journal leur avait expliqué que c’était partout pareil, que c’était vraiment très triste, une espèce de malheur national. Certains ajoutaient «Pas pour tout le monde» et parlaient de Juifs. Je comprenais pas tout.

Là-dessus, on reçoit une lettre avec «République Française» sur l’enveloppe et la tête de Marianne. Maman n’osait pas l’ouvrir. Elle disait: «Je sens que c’est du pas bon.» Et en effet.

C’est moi qui l’ai lue, la lettre. Maman n’osait pas. Papa ne savait pas. «Vous êtes prié de vous présenter à la Préfecture de Police, service des travailleurs étrangers, bureau tant et tant.» Il y avait en plus un coup de tampon tout de travers, à moitié mal tamponné, qui ordonnait: «Muni de votre carte d’identité.»

J’ai prévenu à l’école que je viendrais pas ce jour-là, j’ai pris papa par la main, sa grosse main qu’on aurait crue toujours encroûtée de ciment, et nous voilà partis. Maman pleurait comme si on partait pour la guerre.

On a pris le métro au château de Vincennes. Je lâchais pas la main de papa, je la tenais serrée-serrée, pas que je le perde. Dans le métro sans savoir lire, sans connaître Paris, sans presque savoir parler… la terreur. Déjà la bousculade pour monter… Nous étions debout, peur qu’arrivés à Châtelet on ne parvienne pas à se lever assez vite et à descendre à temps. Je vis que papa marmonnait en comptant sur les doigts de sa main, celle que je ne tenais pas. Je lui ai demandé. Il m’a dit: « Je le sais qu’il est dix stations jusqu’à c’te Châtelet où qu’on descende nous. Allora, je fas le compte. Ecco.»

Au Châtelet, il y avait la correspondance pour Cité. Mais j’ai regardé la carte et j’ai vu que c’est tout près, juste à côté. On a trouvé la sortie et on est allés à la préfecture à pied.

La queue faisait tout le tour de la cour de la préfecture, qui est une cour vraiment immense, et puis elle passait sous le porche et continuait en s’enroulant autour de la place devant Notre-Dame, qui s’appelle le parvis. À l’école on m’avait expliqué que Notre-Dame avait été reconstruite presque à partir de zéro par un nommé Viollet-le-Duc, qu’il fallait beaucoup admirer cette merveille, surtout les sculptures du Moyen Âge, et moi, justement, je venais à peine de lire Notre-Dame de Paris, qui est de Victor Hugo, je regardais de tous mes yeux, je voyais très bien les gargouilles, tout là-haut, j’imaginais Quasimodo, et la belle fille, j’ai oublié son nom, amoureuse d’un con comme souvent les filles, et j’aurais voulu raconter tout ça à papa, juste là devant Notre-Dame, mais papa n’avait pas la tête à ça, je le voyais bien.

On y a passé la journée. À six heures du soir, on avait tout juste atteint l’entrée du porche. Des flics sont venus, ils ont dit: «On ferme. Vous reviendrez demain.»

Bon. On a fini par se retrouver devant un comptoir, papa et moi, avec derrière un mec pas commode. Il portait des espèces de manchons noirs pour pas user ses manches de veste sur le bois de la table. Il posait des questions, je voyais bien qu’il cherchait à nous baiser, mais je faisais gaffe. «Oui», «Non», «Je sais pas.» Il regardait papa, l’air de dire: «Vous êtes d’accord?»,

papa faisait: «Vi, Messieur.» Le type a fini par donner son coup de tampon, comme à regret. On s’en était sortis. Pour cette fois…

Papa avait un atout: son fils né français. J’avais le droit d’opter à vingt et un ans. Ça jouait. Mais où maman l’a trouvée mauvaise, c’est quand elle a appris qu’elle était devenue italienne par son mariage. Elle aurait pu rester française, elle ne savait pas…

*

[...]

Enfin, il est arrivé, le décret ! Il faisait de papa un Français de plein droit, rétablissait maman «dans la nationalité française» et me confirmait dans la mienne. [...]

Entre-temps, la guerre avait éclaté.

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"UNE SALOPE INFAME"

C'était donc ça, ce léger - si léger ! - tremblement de la main? Cette écriture qui, du jour au lendemain, s'est mise à foutre le camp dans toutes les directions? Cette irréelle sensation de flou dans la démarche, de ralenti dans les gestes? J'ai demandé au neurologue :
« C'est certain? Je veux dire: absolument?
- Oh, pour ça, absolument. Vous ne présentez pas tous les symptômes, mais ceux que vous avez sont concluants.»

Très content de lui. Brave homme, au fond, il minimisa:
« Vous avez de la chance.
- Ah, ouais?
- Vous auriez pu, du premier coup, présenter des symptômes très marqués. Vous ne vous en tirez pas trop mal, surtout étant donné votre âge.
- Qu'est-ce qu'il a, mon âge?
- Eh bien, généralement, les symptômes apparaissent plus tôt. Si bien que, parvenus à votre âge, les patients sont beaucoup plus, si j'ose dire, «avancés» que vous.
- Vous voulez dire que ça va s'aggraver?»

Il eut un geste de regret, puis cet apaisement:
« Chez vous, ça a l'air de suivre un rythme très lent.
- Mais toujours du côté de tant-pis?»

Il s'excusa au nom de la science:
« On y travaille activement. Mais, jusqu'ici, on n'a trouvé que des palliatifs.
- C'est-à-dire?
- On agit sur les symptômes. On a pu synthétiser la molécule qui fait défaut et on la fournit à l'organisme.
- Mais c'est merveilleux ! Et ça fonctionne?»

Le docteur hésita, me jaugea, décida d'être franc:
« Un certain temps. Ensuite, il faut augmenter les doses.
- Indéfiniment? Jusqu'où?
- Je serai là. Je ne vous abandonnerai pas. Et puis, la science progresse, vous savez.»

*

J'ai bouquiné tout ce que j'ai pu trouver sur la question. J'en ai parlé. Les gens reçoivent ça avec un air d'en avoir deux. C'est pas de la maladie « honteuse » - y a-t-il encore des maladies honteuses? - mais son nom répand, sinon la terreur, du moins la méfiance. Ca se passe dans le cerveau, cette horreur. C'est plus ou moins un truc de cinglés, ou pas bien loin. La proximité sémantique d'alzheimer n'arrange rien. Ceux qu'ont lu des magazines vous disent, sincères:
«Heureusement, c'est pas l'alzheimer. C'est pas drôle non plus, mais au moins on garde sa lucidité jusqu'au bout.»

Dès qu’est prononcé le mot «Parkinson», le mot «Alzheimer» n’est pas loin de montrer le bout de son nez. Et toujours s’épanouit la charitable comparaison qui débouche sur la constatation qu’il vaut mieux souffrir et n’être plus maître de ses mouvements mais garder l’intégrité de sa lucidité — sous-entendu «de son intelligence», mais on est modeste —, plutôt que sombrer dans l’état de légume, béat, peut-être, mais tellement dégradant. Et de plaindre le pauvre légume dans son inconscience grignoteuse et sa descente vertigineuse aux enfers de l’inexistant puisque non pensant.

Derrière tout ça perce la trouille, non pas d'être un jour alzheimer soi-même, mais d'hériter d'un légume, et de sa petite voiture, et du caca qu'il faut nettoyer après avoir forcé le légume à l'ingurgiter par l'autre bout. « Ils ont bien du courage. Moi, je sais pas ce que je ferais à leur place.» Tu ferais comme eux, Ducon, si t'as pas les moyens de payer une aide ou un placement en maison « médicalisée ». Et tu charmerais tes putains de jours en imaginant comment tu t'y prendrais pour empoisonner le vieux - ou la vieille comme dans les polars, mais sans te faire prendre, cela va de soi. Me voilà donc parkinsonien «pas trop gravement atteint». Bon. Après tout, ça ne se voit pas sur la figure. Du moins tant que les oreilles ne se mettent pas à trembloter.

Ca ne se voit peut-être pas, mais ça fatigue. Je me demandais depuis quelque temps pourquoi, après une bonne nuit, je me réveillais plus las que je ne m'étais couché. Eh bien voilà, je sais: Parkinson. Ce sera la réponse à des tas d'événements mystérieux, presque toujours douloureux ou, du moins, désagréables, qui s'étaient fait leur nid dans un peu tous les replis de mon anatomie. Je traîne cette meute accrochée à la putain de carcasse, crispé sur l’idée qu’il ne faut pas que ça se voie, veillant tout à la fois à ne pas traîner les pieds — impossible d’y fixer son attention pendant plus de quelques secondes —, à ne pas laisser le dos se voûter — mais une vertèbre cassée et mal ressoudée s’y oppose formellement —, à ne pas déporter vers la gauche quand je me figure aller bien droit devant moi, à ne pas bafouiller…

Bafouiller. Un des cadeaux surprises de miss Parkinson. On veut prononcer un certain mot. On n’y arrive pas. Vite, on improvise, on attrape par la queue ce qui nous passe par la tête, un mot qui signifie presque la même chose, pas tout à fait cependant, ça vous donne l’air à côté de vos pompes, les gens se regardent, de vous ils n’attendaient pas ça… Ajoutez, dans mon cas, une voix éteinte, épuisée, alors que je crois parler haut et fort.

Le pire, c'est l'écriture. Vous n'imaginez pas ce que m'a coûté d'efforts ce que vous lisez en ce moment. Ma main ne m'obéit plus. Ce n'est pas tellement qu'elle tremble, ça elle le fait rarement et pas longtemps. Mais elle n'en veut faire qu'à sa guise. J'avais une grande écriture, rapide et très régulière, mon principal souci, quand j'écris, étant d'être compris au premier regard. Si je la laisse faire, ma main, elle tend à griffonner des signes minuscules, lilliputiens, quasi invisibles sur le papier. Ca, c'est les bons jours. Il y a les autres, les plus nombreux, où la rebelle refuse de tracer la moindre lettre identifiable, la salope. Jours de détresse.

*

[ ... ]

Je dis, comme tout le monde, «un» parkinson. J'ai tort. Ce n'est pas un mec. Un mec ne pourrait pas être aussi méchant. Pas de cette manière, en tout cas. Au vrai, c'est une salope infâme, une sorcière aux yeux d'or, une cannibale qui suce les petits os, une de ces larves qui laissent la peau intacte et rose, et qui dévorent tout l'intérieur. Tout ce que vous voudrez, mais au féminin. Miss Parkinson. Pour la vie.

Traitement? Y en a pas. Enfin, si, du palliatif. Le cerveau perd ses légumes, on les remplace tant bien que mal par de l'artificiel. Ca retarde l'échéance.

Au fait, c'est quoi, l'échéance? Légume? Cinglé? Paralytique? Pas moyen d'avoir une réponse nette. J'ai vu un académicien, une fois, sur un fauteuil, oublié dans un coin. C'était ça. Ca bavait. Ca tremblotait des badigoinces. Derrière le fauteuil, une jeune fille, un mouchoir à la main. Bon. Regarde-le bien... Oh, et puis, merde, ce putain de chapitre, on va pas se le finir dans la tristesse et l'amertume! Champagne, jeune fille, et que ça saute. Et tous ensemble entonnons:

« Il est des nôtres!
Il a bu son verre comme les autres !»
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Petit bilan
Parvenu à l'heure des bilans, certaines évidences s'imposent, auxquelles on n'avait jamais pensé.
Exemple. C'est pas pour me vanter, mais je n'ai jamais rendu une femme heureuse. Je veux dire heureuse par moi, par ma ferveur, par ma présence, par ma simple existence...
C'était pourtant mon voeu le plus cher. Leur bonheur m'importait plus que le mien, beaucoup plus. Mais voilà, je n'avais pas la manière. Ou peut-être aimais-je trop fort, trop dans l'idéal. Trop attentif à l'amour même et pas assez à son objet, l'aimée? Amour trop nourri de littérature,donc exigeant, donc maladroit ? Je n'ai jamais eu les pieds tout à fait sur terre, bien solidement crochés au sol. En tout cas, pas les deux pieds à la fois.
Ma seule excuse, c'est que je ne l'ai pas fait exprès. D'ailleurs, je ne me posais pas la question. J'aimais____ je peux aimer très fort, vous savez____, je faisais ce qu'on fait quand on aime, quand on aime très fort. Je ne me souciais pas de savoir si le message était reçu, et agréé, s'il existait une réciprocité à mon élan.
Je vois bien maintenant, je vivais mon amour en égoïste. J'étais sûr qu'elle était heureuse, plus qu'heureuse, puisque je l'étais. Cela allait de soi. J'aurais dû être plus attentif à leur visage, dans les moments d'abandon où elles baissent la garde.
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Mais il y avait Lafontaine.Aussi peu classique que possible, d’ailleurs. On se demande bien ce qu’il fout là. Les autres, les Racine, les Boileau, La Bruyère et compagnie se foutaient de sa gueule.....
« Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un coche «
A déclarer au lever et au coucher.
Le gars qui a écrit ça peut aller se coucher. Il a travaillé pour sa vie entière.

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Derrière tout ça perce la trouille, non pas d'être un jour alzheimer soi-même, mais d'hériter d'un légume, et de sa petite voiture, et du caca qu'il faut nettoyer après avoir forcé le légume à l'ingurgiter par l'autre bout. « Ils ont bien du courage. Moi, je sais pas ce que je ferais à leur place.» Tu ferais comme eux, Ducon, si t'as pas les moyens de payer une aide ou un placement en maison « médicalisée ».
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Vidéo de François Cavanna
1/5 François Cavanna : À voix nue (1994 / France Culture). La semaine du 23 juin 2014, France Culture rediffusait une série de cinq entretiens enregistrés avec François Cavanna en 1994 pour l'émission “À voix nue”. Par Ludovic Sellier. Réalisation : Christine Robert. Rediffusion de l'émission du 17/01/1994. Avec la collaboration de Claire Poinsignon. 1) La mémoire de la ville : de la "folie patrimoniale" au "tout progrès"
François Cavanna est né en février 1923 (et décédé le 29 janvier 2014) d'un père italien et maçon et d'une mère morvandiode, et si l'usage de son prénom s'est un peu perdu, il a conservé son accent des faubourgs. Ecrivain, après avoir débuté dans la presse comme dessinateur, Cavanna est devenu rédacteur en chef de "Charlie Hebdo" et le fondateur de "Hara Kiri", il a conservé le goût de la formule et les saveurs d'une langue truffée d'onomatopées. Invité : François Cavanna
Thèmes : Littérature| Littérature Contemporaine| Mémoires| Presse Ecrite| François Cavanna| Charlie Hebdo
Source : France Culture
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