Samedi 9 octobre.
Aujourd'hui, on avait prévu d'aller assister à un meeting de
Lutte Ouvrière avec Gunes-mon-Kurde, Caillou-qui-s'appelle-Pierre-mais-j'aime-l'humour, et Tov (Tovaritch) mon copain trotskiste, que mon lectorat ne connaît pas encore, donc voilà.
Hélas, ma maman étant ce qu'elle est, elle n'était pas bien d'accord :
- Tu n'iras à aucun évènement politique tant que tu seras sous ce toit.
- Nan mais, c'est juste pour se marrer…
- C'est hors de question. Je ne dis rien par rapport à tes fréquentations, par rapport à tes lectures ou les trucs que tu chantes, mais là, j'estime avoir un droit de veto.
- Mais, maman, tu me vois voter Arthaud ? Moi, amoureuse du capitalisme ? Réactionnaire comme c'est pas permis ?
- Arrête de mentir. Je sais très bien qu'au fond tu frises à gauche. Il n'y a qu'à voir tes yeux quand tu parles de Blum ou d'Allende.
- Bah, justement, Nathalie Arthaud, c'est pas Léon Blum. On va voir la décadence de la gauche avec les copains.
- Tu n'iras nulle part. Lire
Cavanna, ça t'a pervertie. Je n'aime pas ton père, mais j'admets qu'il a raison.
Essuyant cet échec et cette délicieuse journée qui tombe à l'eau, j'appelle les autres.
- Bon, bah désolée, mais vous irez sans moi.
- Tu te dégonfles ? soupçonne Tov le trotskiste.
- Non, c'est ma mère.
Gunes se rebiffe :
- Rebelle-toi ! Moi, je vas voir ton beau-père de mes c*******, et je vais le taper et lui faire bagarre.
(Je censure, car Gunes est très vulgaire quand il est colère.)
- Bah, on se refera ça. L'année prochaine, on ira à la fête de l'Huma pour se moquer des derniers rouges.
- On se faisait une joie de se retrouver tous ensemble, c'est quand même con.
- Ouais nan mais c'est son fils de p*** de c****** de beau-père de mes c****** qui veut pas la laisser sortir.
- Au pire, suggère Caillou jusque-là silencieux, mon papy va à une brocante, on peut toujours y aller.
Caillou, c'est le copain qui parle pas trop mais qui est gentil. Il a souvent de bonnes idées.
- Ton papy coco ? s'enquiert Tov, visiblement au fait des appartenances politiques ancestrales de ses amis.
- Nan, l'autre, celui qui n'aime pas les Arabes.
- Oh, bah c'est bien, moi non plus j'aime pas les Arabes de mes c*******. Tous des fils de p***.
La brocante, c'est merveilleux. Tu trouves des trucs que t'aurais jamais pensé pouvoir trouver un jour, même dans tes rêves les plus fous.
Tov a mis la main sur un portrait de l'Aiglon (« Ça fera plaisir à Grand'maman, elle est corse. »).
Caillou a déniché un jeu de plateau sur la Bataille de la Marne (Oui, ça existe.)
Gunes, lui, est resté sur un lot de pipes en porcelaine, en disant que ça a quand même plus de gueule que la clope.
Quant à moi, j'ai trouvé des photos érotiques envoyées aux soldats pendant la Guerre Mondiale, pas la seconde mais la première, celle avec les moustaches.
Mais les brocantes, c'est aussi l'occasion de trouver des livres que tu ne trouves plus, parce que plus édités.
Exemple :
Cavanna.
Oui, parce que depuis tout à l'heure je divague, mais j'ai toujours mon sujet en tête, ne t'inquiète pas.
Donc,
Cavanna.
Je trouve un petit tas de bouquins, rangés à la va-comme-j'te-pousse dans un vieux carton avec marqué dessus « Timbres Michel ».
Dedans, y'a pas mal de merdes. Principalement des romans érotiques à deux sous.
Mais que vois-je ?
Coincé entre une dadame toute nue qui se mire devant la glace, et une autre dadame qui fait des choses qu'on ne décrit pas sur ce genre de site, v'là-t'y pas que je trouve un de mes moustachus préférés.
C'est
Maria, en plus. La couverture, la tête de
Cavanna avec des petits coeurs un peu partout, n'est pas non plus super attirante, mais c'est pile le livre que je recherche depuis des lustres.
Le vendeur s'intéresse immédiatement. La quarantaine, barbe dégueulasse. Un peu gras.
- Vous êtes la première à venir jusqu'à moi. C'était à mon père. Jamais pu lire
Cavanna. de toute façon, j'aime pas lire.
- Vous le faites à combien ?
- Oh bah, z'êtes mignonne. J'vous en fais cadeau.
Et donc voilà.
Tov s'est foutu de moi, Caillou a soupiré, et Gunes m'a demandé s'il pourrait me l'emprunter.
Mercredi 3 novembre.
Donc, me voici chez ma grand'mère anarchiste-mais-qui-vote-Macron-parce-qu'on-dira-ce-qu'on-voudra-c'est-quand-même-le-moins-pire, et je viens de refermer
Maria.
- Alors, comment c'était ?
- Bah… Je sais pas trop. Ce que je sais, c'est que je ne sais pas ce que je vais écrire dessus.
- Tu écris sur tous les livres que tu as lu ?
- Non, mais
Cavanna, je peux pas le laisser passer. Déjà que la dernière fois, je lui ai consacré un billet pas tellement élogieux. Alors, bon, faudrait pas que les rares qui me lisent puissent penser que l'autel à sa gloire ait pu en prendre un coup.
Maurice prend de l'élan et saute sur mes genoux. Pour un chat à trois pattes, il a vachement de souplesse.
- Oui, j'ai vu passer cette critique. Tu n'as pas été tendre.
- Fallait bien. J'étais tellement déçue. Enfin, je devrais m'y mettre. Déjà qu'apparemment certains s'inquiètent de ce que j'écris plus beaucoup…
- Introduis sur tes copains ou sur le chat, et après tu devrais réussir à broder.
- Ouais… J'ai rarement eu autant la page blanche.
Donc voilà. Compréhensive, Mère-grand a mis
Django Reinhardt en fond sonore, car on ne fait jamais rien de bien sans
Django Reinhardt en fond sonore, et vogue la galère.
C'est vrai qu'on ne saurait tellement quoi dire sur le sujet.
On me dit que
Cavanna a « innové dans le roman avec
Maria ». C'est possible.
C'est un roman autobiographique, mais un peu futuriste parce qu'il décrit des évènements qui ne se sont pas encore produits, mais ça ne saurait tarder.
Ne t'attends pas à des voitures qui volent et de la cryogénisation qui ressuscite Einstein. Nan. Ici, le monde ambiant est un joli monde de 1989 où la France, prospère grâce à un gisement de pétrole inattendu, a de bonnes relations avec l'URSS depuis l'élection providentielle d'un président rouge.
Mais malgré ce joli monde tout beau tout rose, notre
Cavanna ne va pas bien.
Pas bien du tout, même.
Note : A aucun moment il n'est nommé. Il parle de lui à la troisième personne (oui, je sais, chut.) et se nomme tantôt l'escogriffe, tantôt le moustachu.
Un moustachu avec de grandes moustaches à la gauloise, toutes blanches. Donc le doute n'est plus permis : le moustachu, c'est bien notre
Cavanna préféré.
On avait quitté
Cavanna avec
Les yeux plus grands que le ventre, sur un suicide par pendaison dans le grenier.
Et puis, plus rien.
Que devenait sa maîtresse ? On n'en sait rien.
Que devenait sa femme ? On n'en sait rien.
Et lui, était-il vraiment mort ? Bah, on n'en sait rien.
En fait, Cavan… non, le moustachu, n'est pas mort. Il vit juste dans un taudis crade au possible, avec ses rêves d'amours perdues et ses bouquins. Une loque.
Et voilà qu'un jour, une femme vient le voir pour lui demander s'il accepte de participer à une émission pour retrouver
Maria. Dont il évoque la disparition dans
Les Russkoffs. Nan mais je précise au cas où tu suis pas.
La majeure partie du livre est consacrée à
Cavanna qui tente d'aider les chats de la concierge, à
Cavanna qui bande mou quand il s'agit de faire des partouzes entre dames qui sentent bon (ouais, un chapitre, ça met d'entrain avant de se coucher), et à
Cavanna qui pleure parce qu'il aime toujours Gabrielle, sa maîtresse d'avant, celle qui avait un très beau cul et des seins en pomme.
Le titre du livre prend son sens à la fin, quand
Cavanna participe à l'émission, et découvre ce qu'il est advenu à
Maria.
Et voilà.
J'ai mis un temps fou à finir ce livre. Je n'ai aucune envie de lui rédiger un billet pareil à ce que j'avais fait avec Les yeux plus grands… ; mais je suis réellement mitigée.
L'écriture est toujours aussi admirable. J'aime d'amour le style de
Cavanna. Mais ici, il manque un truc. Un truc qui fait que j'aurais pleuré comme un chien à l'évocation de
Maria à la fin du livre, comme ce fut le cas dans
Les Russkoffs.
Là, non.
J'ai eu plus de peine pour ses moustaches qu'il abandonne lâchement dans les dernières pages. Mais pour
Maria, que dalle.
On a l'impression que c'est un livre alimentaire, écrit parce qu'il faut bien se payer à bouffer, et voilà. Aucune âme. C'est déprimant.
Allez, j'y vais, je vais pleurer sur mes illusions perdues.