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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
N°1657- Juillet 2022

Le monarque des ombresJavier Cercas – Actes sud.
Traduit de l'espagnol par Karine Louesdon et Aleksandar Grujičič.

Celui qui se cache derrière ce titre, c'est Manuel Mena, le grand oncle maternel de l'auteur, sous-lieutenant phalangiste, mort à dix-neuf ans à la bataille de L'Ebre en 1938. Cette mort héroïque d'un jeune homme fut une sorte de fierté familiale dans ce village désolé d'Estremadure malgré l'avènement de la République et la tragique guerre civile. L'oubli reste une des grandes énigmes de l'espèce humaine, même au sein des familles et l'auteur, après avoir longtemps refusé d'évoquer l'histoire de ce parent, a résolu de le faire, pour lui mais surtout pour sa famille, comme un devoir de mémoire, une obligation morale et personnelle, parce que rien n'avait été fait auparavant au sujet de cet homme et que les choses écrites non seulement perdurent plus longtemps mais surtout ont une apparence de vérité. Il va donc, un peu malgré lui, parler de sa famille et de cet aïeul, et ce faisant, rouvrir les plaies de cette guerre civile que la génération précédente avait voulu oublier. Il va parler de cet homme, mort jeune pendant ce conflit fratricide qui divisa même les familles, évoquer le rapide passage sur terre de quelqu'un qui a combattu les armes à la main pour défendre l'idée qu'il se faisait du destin de son propre pays. Il va donc se rendre dans cette maison familiale désormais vide, dans ce village d'Estremadure qu'il a quitté depuis longtemps où une rue porte le nom de ce sous-lieutenant, avec le risque d'apprendre sur lui des choses qui ne vont pas forcément dans le sens du souvenir qu'il a laissé. En effet Javier Cercas a une sensibilité de gauche et parler ainsi de ce grand oncle qui a combattu volontairement dans les rangs franquistes, c'est à dire fascistes, tient un peu de la gageure. Il va rencontrer des membres de sa famille qui l'ont connu, retrouver des anciennes lettres, de rares photos, évoquer son souvenir, rafraîchir la figure un peu oubliée de ce garçon tout juste sorti de l'adolescence, enthousiaste à l'idée de combattre, animé d'un esprit de sacrifice, mort en pleine jeunesse les armes à la main pour défendre une certaine idée de son pays qui lui av ait été forgée par ses parents, même s'il eût été plus logique qu'il se tournât vers l'idéal républicain et ses réformes, dans cette famille modeste d'une province pauvre et désolée aux mains de grands propriétaires terriens. Cercas le fait avec un certain sentiment de culpabilité, ravivant le deuil de ceux qui l'ont aimé et ont survécu, même s'il retisse et nourrit la légende de Manuel qui ne vieillira pas, ne sera jamais la victime du temps, ne connaîtra jamais la vieillesse avec ses altérations physiques, ses regrets, ses remords, ses phobies... Qu'on le veuille ou non, il y a une certaine aura à mourir jeune. Puis, petit à petit, cette statue se lézarde, cette silhouette un peu fantomatique d'un jeune garçon enthousiaste et idéaliste, trop tôt mûri par les événements tragiques qu'il a été amené à vivre et qui le dépassaient, s'affine pour laisser place à un homme mélancolique et solitaire qui portait sur ce monde qui l'entourait un regard à la fois désabusé et fataliste, se rendant compte de la réalité absurde des choses qui l'avaient amené là où il était.
Cela commence un peu laborieusement sous forme de biographie qui mêle l'histoire de cette famille et de ce village, à celle de l'Espagne devenue républicaine, avec des souvenirs d'école, des remarques sur la passivité et l'inconstance des gens qui votent en fonction des circonstances et surtout contre leur intérêt, un projet de livre puis de film avec David Trueba. le texte est un peu bizarre puisqu'il évoque l'histoire de cette famille en parlant de l'auteur, Javier Cercas, alternativement à la troisième personne mais aussi en lui donnant la parole. Il refait, avec la précision d'un historien, le parcours de certains de ses membres entre engagements républicains et franquistes (ou phalangistes) dans la grande tourmente de cette époque dont Antoine de Saint-Exupéry, alors reporter, a pu dire « ici on fusille comme on déboise ». le grand oncle de l'auteur ne vécut de douze mois dans son grade d'officier, mais il le fit intensément comme un combattant convaincu de la justesse de la cause qu'il défendait. Cette évocation brise un peu la légende et conte la véritable histoire de Manuel, malgré les erreurs des documents administratifs régimentaires et comptes-rendus de mouvements des troupes. Cela prend même par moments la forme ennuyeuse d'un rapport militaire sur les attaques, les contre-attaques, les positions perdues puis reprises, le décompte des morts et des blessés, les distinctions obtenues, les remarques sur la stratégie et ses conséquences … Je m'interroge également sur la qualification de « roman » donné au livre alors que, plus j'avançais dans ma lecture plus j'avais la certitude de ne lire qu'une chronique d'où l'imagination était absente et qui dessinait petit à petit le vrai visage de ce jeune homme oublié. L'épilogue, s'il ne doit rien à la fiction, a cependant son pesant d'émotions qui fait de ce texte autre chose qu'un simple récit.
Reste le titre un peu énigmatique comme c'était déjà le cas dans un précédent livre (« Les soldats de Salamine »). Manuel Mena a été après sa mort idéalisé par la mère de l'auteur, il est pour elle à l'image d'Achille dans l'Iliade d'Homère, combattant pour une cause qui le dépasse et qui meurt au combat, l'homme d'une vie brève et d'une mort glorieuse en pleine jeunesse qui couronne une belle vie et le fait accéder à l'immortalité, qui règne sur les défunts, « le monarque des ombres », l'idéal grec, l'exact contraire d'Ulysse qui, vivant, connaît la vieillesse.
Cette démarche littéraire enfin aboutie a quelque chose d'extraordinaire, non seulement parce qu'elle tire de l'anonymat et raconte l'histoire de ce jeune homme entraîné dans la tourmente de cette horrible et meurtrière guerre civile, mais aussi parce qu'elle parle de lui comme de quelqu'un qui a été amené à combattre pour les intérêts des autres, contre les siens propres mais qui l'a fait avec l'enthousiasme de la jeunesse et y a perdu son unique bien, sa vie, avec l'illusion que la cause pour laquelle il se battait était juste. Qu'aurait-il pensé, s'il avait survécu, de la quarantaine d'années de dictature qui s'ensuivit ?
Il y a aussi la démarche de l'auteur dans l'écriture de cette histoire. Au terme de ce saut dans le passé de sa famille, de réticent au départ, il se sent obligé de la transcrire parce qu'il est écrivain, seul sans doute parmi sa parentèle capable d'écrire une telle chose, mais aussi parce que, désormais dépositaire de ces révélations jusqu'alors secrètes, il en devient responsable, et, l'écrivant, il s'en libère aussi parce que l'écriture a ceci de miraculeux que les mots ont à la fois ce pouvoir de partage et de résilience au terme duquel celui qui tient la plume se révèle à lui-même, et ce bien que je ne partage pas tout à fait sa vertigineuse prise de conscience culpabilisante à la fin.
En Espagne, sous la dictature de Franco, le souvenir de la guerre civile a été complètement occulté. Sous le régime suivant, plus démocratique, on a cherché à oublier toutes ces atrocités. Ce n'est que lors de la génération suivante, qui n'a évidemment pas connu ce conflit, que les jeunes écrivains espagnols s'en sont emparés, se le sont même approprié et l'ont intégré à leur oeuvre, comme pour en exorciser toutes les horreurs et tous les mensonges. Javier Cercas, né en 1962 est de ceux-là. Je lui sais gré de sa démarche si bien exprimée et incitatrice de réflexions.

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Ecrivain et cinéaste espagnol de grand renom, Javier CERCAS, 56 ans, professeur de littérature à l'Université de Gerone, publie en traduction française son « Monarque des ombres », au moment où s'éveille en Espagne le besoin d'approfondir la mémoire des combattants de la guerre civile de 1936-39.
Voici l'histoire de la famille de Manuel Mena, qui en dépit de ses incertaines convictions politiques, a fait les trois ans de guerre civile dans un régiment de volontaires franquistes pour venir mourir à l'hiver 1938 dans la féroce bataille de l'Ebre.
Comment et pourquoi ce garçon de 20 ans s'est-il engagé dans la Phalange ? Pourquoi y est-il resté ? A-t-il assisté en spectateur, ou en tant qu'acteur aux assassinats collectifs qui se sont déroulés pendant toute la guerre ?
Pendant longtemps, c'est à peine si l'on pouvait évoquer en famille ce neveu ou cousin, tant la guerre a suscité de déchirements et de haines dans les villages et les familles. Mais le grand âge prélève chaque année son tribut sur les anciens des familles, et les témoins disparaissent. Il devient donc urgent d'ouvrir les archives et de susciter la parole des Anciens.
Javier Cercas met en scène ces rencontres familiales, qui peu à peu se font plus confiantes et productives de consensus. Finalement, la famille comprend mieux l'histoire de Manuel, et se montre quelque peu rassurée.
Si vous lisez ce livre, je vous suggère aussi une relecture d'Hemingway (Pour qui sonne le glas) ou d'Anthony Beevor, (La guerre d'Espagne). L'un et l'autre décrivent les haines qui ont entrainé le pire durant l'été de 1936.
Lien : http://www.bigmammy.fr/archi..
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Un jour, j'avais 15 ans, je me suis intéressé à ce grand-père maternel dont on ne parlait jamais à la maison. Il était mort sur le front, à la guerre. Dans mon esprit d'adolescent, épris d'épique, de don de soi et de grandes valeurs morales, je trouvais cela plutôt cool d'avoir un grand-père mort héroïquement.

Je pris mon courage à deux mains et je questionnais ma mère. J'appris que mon grand-père était mort non loin de Stalingrad. Dans le long silence qui a suivi la réponse de ma mère, j'essayais de recoller les bribes d'info en ma possession sur le cours de l'Histoire... Et j'entendis ma mère lancer "oui, du mauvais côté", avant de quitter la pièce.

Je venais de rouvrir une blessure qui ne pouvait pas guérir. En fait, je pense depus ce jour que je n'ai rien rouvert, car ma mère y pensait chaque jour. Elle haïssait cet homme tout en l'aimant. Elle refusait son destin, son engagement de pacotille pour "une cause indéfendable", comme il est dit de Manuel Menas en 4è de couverture.

Javier Cercas n'a pas vraiment ce souci... Sa famille, dans son ensemble a plutôt accepté d'avoir un héros phalangiste dans son arbre généalogique. Et lui, il a dû faire avec, là où j'ai dû faire sans.

J'ai longuement harcelé ma mère qui a fini par nous raconter des bribes, tout comme ses frère et soeurs. Mais c'est le plus souvent l'omerta. Comme si ne pas en parler pouvait signifier que cela n'a jamais existé.

Cet aspect de "constellation familiale" est très présent dans le livre de Javier Cercas. Surtout vers la fin, quand il aborde le rapport qu'il a à sa propre mère, comme dans une sorte de ménage à trois: elle, lui et son ancêtre franquiste.

Au-delà de ce passé que Cercas nous conte, de manière intime parfois, de manière détachée, factuelle, à d'autres moments, il y a aussi de très beaux passages sur le processus de création, sur comment l'écriture se travaille et se construit.

Javier Cercas et moi-même sommes arrivés à la même conclusion: cela nous a fait et défait, construit et détruit... nous sommes cet ancêtre, tout comme nous ne le sommes pas. Il faut assumer tout en n'assumant pas...

Là où je ne suis pas d'accord c'est quand Javier Cercas, finaud, nous dit qu'il ne se positionne pas en tant qu'écrivain, en tant qu'affabulateur... car il ne fait que cela dans l'avant-dernier chapitre, celui sur la bataille de l'Ebre où Manuel Mena décède. Et quand il lui repasse "une couche de blanc" pour dire que sur le tard ce jeune homme avait compris qu'il faisait fausse route... je n'avale pas. Car comment alors explique l'épisode du monastère où Manuel Mena outrepassant les ordres et déviant de sa route directe va affronter les Républicains dans une escarmouche qui aura de grandes conséquences. Tout comme il fera preuve d'une bravoure sans faille et d'une grande détermination lors de l'engagement final (pour lui). Ces deux faits d'arme me semblent incompatibles avec le revirement que Javier Cercas décrit dans le chef de son ancêtre. Tout comme j'ai rejeté l'acte de bravoure de mon grand-père maternel, décoré à titre posthume pour avoir sauvé des camarades coincés par l'armée russe.

Le mérite principal de Javier Cercas, c'est de libérer la parole. Il ne pardonne pas parce qu'il n'a pasà le faire. Il ne se dégage pas de ses responsabilités, parce qu'il n'a pas à le faire non plus. Il entame un dialogue, une manière de commencer un deuil, un travail de réconciliation dans un pays (dans un continent même) qui en a bien besoin en ces temps troublés.
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Javier Cercas a du talent. Il est intelligent. Il réfléchit le monde et est pétri d'humanité. Toutes ces qualités s'expriment dans « le monarque des ombres », un voyage littéraire visant à raconter et comprendre Manuel Mena, phalangiste et grand-oncle de l'auteur. L'entreprise est louable et historiquement pacificatrice. Après 80 ans, il est temps de cicatriser les plaies de la guerre d'Espagne et de comprendre comment l'on peut basculer du mauvais côté sans pour autant être un « mauvais homme ». Il y a dans le texte de Cercas de très beaux passages et de puissantes réflexion.s Tel est le cas d'opposition entre la vie brève d'Achille dans l'Iliade et la vie longue d'Ulysse dans l'Odyssée. Tel est le cas aussi des trois défaites de Manuel Mena. La conclusion est évidente et juste : il vaut mieux renoncer à la vie brève et glorieuse et, comme Ulysse, « vivre une vie longue médiocre et heureuse », « en restant loyal à soi-même ». Il n'en demeure pas moins que Javier Cercas ne s'échappe pas assez de lui-même, qu'il se perd dans des questionnements ou des développements par trop personnels qui alourdissent le propos et le rend parfois fastidieux, sinon ennuyeux. Cependant, pour son intelligence, son humanisme, la qualité de sa réflexion, il faut lire « le monarque des ombres ».
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Pas facile pour Javier CERCAS d'écrire ce récit consacré à l'un de ses ancêtres, un grand-oncle pour être tout à fait excat. Car cet aïeul est encombrant, il a en effet appartenu au mouvement de la Phalange en Espagne un peu avant le déclenchement de la guerre civile de 1936. C'est donc la courte vie de ce Manuel MENA que l'auteur va retracer. Courte car l'ancêtre s'est fait dessouder en 1938 en pleine guerre à 19 ans.

Paradoxalement le personnage principal de ce témoignage n'est peut-être pas le sieur Manuel mais bien un village planté et planqué près de la frontière portugaise : Ibahernando, resté figé au Moyen-âge. Car cette quête de la vérité (CERCAS ne sait pas grand-chose quand il commence son travail, et ne sait d'ailleurs pas à l'époque s'il utilisera un jour le résultat de ses recherches) va beaucoup s'arrêter dans ce bourg d'où est native la famille du romancier.

Contre toute attente, il va dénicher des survivants de l'avant-guerre. Encore mieux, il va pouvoir interviewer des personnes ayant plus ou côtoyé le Manuel en question. Des photos retrouvées – publiées dans le livre - en adresses données par des témoins, CERCAS va lentement reconstituer cette vie fantôme. Il va devoir extirper de vilains souvenirs de la guerre, reconnaître que sa famille était mouillée jusqu'au cou du côté des Phalangistes, voire carrément des Franquistes (CERCAS est un homme de gauche).

CERCAS entame un travail d'historien, mais bien sûr se retrouve indirectement impliqué en tant que descendant de MENA. Ainsi il tombe parfois dans le panneau de l'autobiographie partielle, se mettant lui-même en scène. Il a d'ailleurs du mal à entrer dans le sujet, par des hésitations, des supputations en rapport avec sa famille. Mais lorsqu'il commence véritablement son enquête, c'est du grand CERCAS qu'il livre, remontant avec brio à une période qu'il n'a pas connue. Il nous rappelle ce CERCAS qui m'avait tant enthousiasmé avec son récit « L'imposteur », celui d'un anarchiste affabulateur, manipulateur et mythomane refaisant son parcours afin de passer pour un héros national.

Dans « le monarque des ombres », sorti en 2018 chez Actes Sud, il détaille la vie quotidienne et parfois sordide dans un village en temps de guerre civile, loin de Madrid ou de Barcelone, dans un temps ou un assassinat est appelé « promenade », où la délation est monnaie courante et où la population tient à se placer du côté du plus fort, du vainqueur, de Franco et ses troupes. Récit émouvant, passionnant, un récit historique qu'il étaye de fac-similés afin de le rendre encore plus authentique. Un bouquin nécessaire pour percevoir et explorer une facette méconnue de la guerre d'Espagne. Une quête qui va permettre à l'auteur une comparaison audacieuse avec « L'iliade » et « L'odyssée ».
https://deslivresrances.blogspot.fr/
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Dans cet intrigant roman-documentaire, Javier Cercas essaie de tirer de l'oubli le parcours de son grand-oncle Manuel, combattant franquiste pendant la guerre d'Espagne. Sur la forme, l'auteur nous entraine dans une réflexion sur cette impossible narration, sur le travail de fiction auquel il se refuse lorsque les sources historiques sont lacunaires, sur le poids de cet héritage dans une société espagnole où cette question n'est visiblement pas encore entièrement réglée. Sur le fond, on suit, parfois avec un peu de difficulté, le parcours de ce tout jeune homme, mort à 19 ans, qui ne fut pas, et loin de là, un combattant entièrement aveuglé et acquis au franquisme, mais un jeune homme pétri de doutes, lorsqu'il découvre l'horreur de la guerre.
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Manuel Mena, le grand oncle de Javier Cercas, est décédé le 21 septembre 1938 à l'âge de 19 ans au cours de la bataille de l'Èbre. Il était franquiste.
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La famille de Javier Cercas n'a gardé qu'un seul portrait de lui. Habillé avec son costume de sous-lieutenant. Ils l'honorent en tant que héros officiel de la famille.
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Javier Cercas se retrouve face à un dilemme. Doit-il écrire pour continuer à faire vivre cet homme dont il réprouve les idées ?
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Il collecte des informations pendant des années sans pour autant se décider à écrire. Il ne veut pas romancer cette histoire. Il ne souhaite pas inventer quelqu'un à partir de bribes et flirter avec la réalité.
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Javier Cercas ne nous cache rien de ses tourments au moment d'écrire ce livre. Ses recherches. Ses sentiments. Ses idées. Pas de filtres. Il se lance dans une quête de vérité exigeante. Sans juger. Uniquement comprendre.
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Il remue le passé sombre et trouble de l'Espagne. Interroge plusieurs personnes âgées se remémorant des faits survenus il y a plus de 80 ans. Et tout doucement, la personne de Manuel Mena apparaît de document officiel en anecdotes. .
Sur base de faits historiques longuement expliqués, Javier Cercas nous livre un roman d'introspection et de recherches minutieuses. Fouillé, documenté, intelligent. .
Un livre remarquable !
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Le livre retrace la vie de Manuel Mena : qui il était, pourquoi a-t-il fait les choix qui l'ont amené à mourir parmi l'armée franquiste pendant la guerre civile. Écrire sur cet oncle est pour l'auteur une volonté de se réapproprier l'histoire de ce héros familial dont il ne connaît que la « légende », celle qui est dite dans sa famille ; mais aussi l'identité « de droite » et par moments franquiste de sa famille, tandis que lui se situe à l'exact opposé, politiquement.

On suit donc à la fois :
- l'histoire de Manuel Mena : éduqué à Ibahernando, une province pauvre de l'Espagne, et part faire des études à Madrid d'où il revient avec la volonté de s'engager militairement
- l'enquête que poursuit Javier Cercas pour reconstituer cette histoire (documents, lieux visités par MAnuel Mena et lespersonnes qui l'ont connu)

La place des documents extérieurs est prépondérante dans la narration. L'auteur inclut souvent des reproductions de documents et des copies d'articles, pour témoigner de ce qu'ils ont représenté dans son enquête.

Le livre est écrit à deux voix, qui sont deux incarnations de l'auteur. C'est lui qui explique le mieux le comment et le pourquoi de sa démarche, à la fin du roman.

Le livre est très bien écrit, la démarche « journalistique » de la voix « objective » de Javier Cercas n'empêche pas un certain lyrisme qui donne du souffle au roman. Les deux voix alternent selon les besoins du récit pour faire avancer à la fois la chronologie de la vie de Manuel Mena, et la compréhension de plus en plus intime de ses mobiles par son petit-neveu.
L'alternance devient même par moment comique, quand il se renvoie la balle entre ses deux voix.

C'est vraiment cet aller-retour qui fait l'originalité et l'intérêt du roman, et qui permet de suivre l'auteur dans son empathie progressive envers son grand-oncle. C'est une porte d'entrée vers un épisode très dur de l'histoire espagnole, qui est à la fois précise et universelle en s'attachant à ce soldat parmi des milliers d'autres. C'est aussi une réflexion sur la valeur de la vie, que Manuel Mena a sacrifiée pour une cause qui lui était peut-être étrangère, et sur la nature de l'héroïsme : l'attitude héroïque peut-elle être dissociée des buts de l'action ?
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Entre recherche historique sur la vie d'un jeune soldat pendant la guerre civile, et recherche sur son héritage familial, Javier Cercas nous donne à voir les vérités derrière les récits maintes fois répétés, et surtout derrière les silences. En interrogeant toutes les personnes qui ont pu croiser la route ou entendre parler de son grand oncle mort au combat, l'auteur nous transmet des témoignages d'une époque presque trop lointaine pour être visualisée et pourtant tellement présente dans les souvenirs des vieillards, les pierres des villages et les paysages espagnols.

Javier Cercas réveille les fantômes du passé phalangiste de sa famille, et nous interroge à nous, les descendants d'exilés espagnols, sur notre propre héritage. Sa famille n'a rien d'exceptionnel, ça pourrait être la mienne ou la vôtre, mais son travail de fouille minutieuse de "l'âpre vérité", lui, est exceptionnel et infiniment précieux.

Si les détails sur les batailles et les déplacements de la brigade de son oncle peuvent être rébarbatifs (j'ai sauté des passages), je vois cet ouvrage comme un hommage à tous ces morts de la guerre, à tous les survivants qui ont partagé leurs souvenirs, et aux descendants qui ne peuvent pas remonter le temps comme Cercas l'a fait. L'écriture de ce livre part d'un désir presque égoïste de faire la paix avec son passé familial, mais son positionnement d'historien se voulant neutre permet d'élargir ses questionnements et d'embarquer le lecteur dans ce basculement propre aux guerres civiles, de gens simples pendant la paix à acteurs du cauchemar pendant la guerre.

J'ai une pensée émue pour l'un de mes arrières grand oncle mort au combat à Guadalajara, lui était du côté républicain mais peu importe, Cercas nous rappelle que tous ces soldats étaient du côté des perdants, cependant ils vivent encore grâce à son talent d'auteur, et grace à leurs descendants. Nous sommes avec Cercas dans "le présent éternel".

"Nos ancêtres vivent en nous (...) nous héritons de ce qu'ils furent, que cela nous plaise ou non."
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Ce roman, dans lequel l'auteur et le narrateur se confondent, voit Janvier Cercas pister la trace de son grand-oncle, soldat phalangiste tué au combat. Au-delà de cette figure nébuleuse, c'est le passé de sa famille et, symboliquement, de l'Espagne franquiste, que l'auteur met en lumière. Cercas met sa plume habile au service d'une réflexion approfondie sur le rapport entre écriture, histoire et vérité. Il manque un souffle épique à ce roman pour me subjuguer complètement mais cela reste un beau texte sur une période sombre de l'histoire de l'Espagne.
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