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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Comme souvent avec les auteurs qui ont choisi de se faire les porte-paroles du réel, il y a deux histoires en une. L'histoire en elle-même sur laquelle ils ont enquêté et dont ils nous livrent les faits, et l'histoire du livre, sa genèse, sa maturation et sa décision de l'écrire, avec les doutes, les tergiversations, les joies et les errements que l'auteur a traversés. Javier Cercas est aussi spécialiste d'Histoire (l'autre, la vraie, la grande avec une majuscule), celle de son Espagne natale à laquelle il a consacré tous ses ouvrages. Peut-être pour éviter justement d'écrire le seul qui lui importait vraiment, celui qui le taraudait et le plombait comme un funeste héritage.
Manuel Mena est le grand-oncle maternel de Javier Cercas, mort à 19 ans en 1938 après s'être fourvoyé dans la phalange, idéalisé par sa mère et sa famille, comparé à Achille parti pour des idées au royaume des ombres, au firmament de sa puissance. Un tabou et une honte 80 ans après, pour un auteur et son cortège d'idées de gauche. Mais « s'il est faux que l'avenir modifie le passé, ce qui est vrai, c'est qu'il modifie la perception que l'on a du passé et le sens qu'on lui donne ». Avec ça tout est dit ou presque, l'auteur va évoluer, et va finir par l'écrire le livre de sa honte, muée en responsabilité sous la férule d'Arendt.
« Le monarque des ombres » alterne habilement les chapitres où l'on découvre ce qui est resté de la bio du grand-oncle Manuel Mena, dans lesquels l'auteur semble prendre ses distances en s'évoquant à la troisième personne (« Cela dit, il semble impossible d'exempter la famille de Javier Cercas de toute responsabilité concernant les atrocités commises ces jours-là...»), avec des chapitres détaillant l'enquête minutieuse d'un écrivain-historien avide de faits plus que d'effets (avec un « je » assumé), et son évolution personnelle par rapport au fardeau familial.
Un livre que j'ai beaucoup aimé, comme souvent avec ce genre littéraire, et cet auteur en particulier.
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Ce roman étouffant, pareil à cette guerre d'Espagne, au titre émouvant le "Monarque des ombres", est-il le roman de l'écrivain Javier Cercas, ou un récit guidé par sa famille. Est-ce l'histoire de son oncle jeune soldat mort à 19 ans, ou le livre de l'historien Cercas prêt à examiner tous les chemins empruntés par cet oncle Manuel Mena.


La première moitié du livre est une longue interrogation sur l'intérêt d'écrire ce livre, une incessante question, devant le peu d'informations disponibles. Un flou voulu ou subit, par une famille, trop mal documentée pour réhabiliter un homme qui s'est engagé totalement dans une voie, la phalange, contraire à son passé, contraire à son milieu.
Manuel Mena a 19 ans, sur la photo familiale, sanglé dans son uniforme de phalangiste, il a un corps d'enfant dans un costume d'homme, mort au combat pour une mauvaise cause pendant la bataille de l'Ebre, en septembre 1938.
Depuis son enfance, Javier Cercas vit avec le souvenir de Manuel Mena, héros officiel de sa famille qui entretient le culte, d'un aïeul statufié en jeune officier.

Que faire de cet héritage ? le cacher ou l'affronter au grand jour ? Javier Cercas tournait autour, mais de Manuel Mena comment s'en débarrasser.


Longtemps, il a cru pouvoir l'ignorer. Mais Javier Cercas s'est résolu à se planter face à lui. À défier la légende pour s'enfoncer dans le pays des ombres. Il se doit de maîtriser le roman familial pour ne pas être emporté.
Ces très longues pages, m'ont ouvert les yeux sur les événements à l'origine de la guerre d'Espagne. L'enchaînement assez incompréhensible des scrutins ne pouvaient que basculer le pays dans suite de querelles violentes et insolubles.
En 1931 c'est la victoire de la gauche, et l'instauration de la 2ème république signe le départ de la famille royale.
Fin 1933 de nouvelles élections engage le pays dans l'instabilité et les répressions, avec un autre camp au pouvoir, et tout bascule de nouveau.
En 1936 le peuple met la gauche démocratique au pouvoir, c'est le front populaire,et bientôt le début de la guerre civile espagnole.


La Seconde République, née dans dans l'effervescence générale et l'optimisme,fini par se répandre dans le sang
Javier Cercas va puiser dans le passé d'Ibahernando son village, cette région reculée de l'Extramadure, pour reconstituer le film de ces sombres années. Quelques anciens, au regard voilé de tristesse, trop longtemps emmurés dans le silence parlent. Son ami, le cinéaste David Trueba, qui a tenté de le dissuader de plonger dans cette fissure, finit par l'accompagner à Ibahernando pour filmer les derniers témoins.


Peu à peu le film des événements se dessine.
Savoir ce n'est pas juger, comprendre Manuel Mena c'est découvrir la personnalité du jeune homme livré à lui même et très idéaliste. Il sort de l'enfance confronté à des combats qui divisent et détruisent l'harmonie d'un clan. Confronté à cette complexité, le jeune homme verse dans le mauvais camp et finit, désenchanté, par le pressentir, peu de jours avant que la mort l'emporte.


Malheur aux vaincus. Javier Cercas fut décrié, même si son travail a fait l'objet d'une enquête scrupuleuse, apportant son lot de révélations et de témoignages. Entre la guerre, l'héroïsme et la mort, c'est l'aventure humaine que l'écrivain privilégie, un regard sur le passé pour aussi éclairer l'avenir.

Un roman familial où des figures étonnantes sont restituées dans leur sagesse et leur sensibilité, sa mère son grand père et tant d'autres.
Que signifie une belle mort ? Si sa famille a vu en Manuel Mena, le héros grec Achille, le monarque des ombres, n'aspira peut être que de devenir un modeste Ulysse pour retrouver sa famille.

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Avec « le monarque des ombres« , Javier Cercas poursuit sa longue réflexion sur la Guerre d'Espagne entamée il y a plusieurs années déjà. Une guerre civile qui, aujourd'hui encore, est un véritable traumatisme dans la péninsule ibérique. Cercas nous conte ici, l'histoire d'une histoire, la plus intime, la plus difficile qu'il nous ait sans doute offert : le récit de la vie de Manuel Mena, un oncle de la mère de Javier Cercas qui combattit dans les rang des troupes de Franco et mourût a dix-neuf ans, en 1938, pendant la sinistre bataille des rives de l'Ebre. On suit la réflexion, la lente maturation d'un livre qu'il se refusait à écrire. La honte de Cercas, lui l'homme de gauche qui doit assumer le passé franquiste d'une partie de sa famille. de Manuel Mena, il ne subsiste qu'une photo.. tout le reste ayant été brûlé. C'est à la lente déconstruction d'une figure familiale à laquelle nous assistons. le Manuel Mena du début du livre n'est pas celui que l'on découvre peu à peu grâce au travail, comparable à celui d'un historien, mené par Cercas, qui avec recul et rigueur reconstitue le parcours de celui qui s'est sacrifié pour rien.. L'évolution de l'image fantomatique de ce jeune homme qui a été trompé et qui s'est retrouvé à combattre ceux qui auraient dû être ses frères, est saisissante. La vie, l'histoire, hélas s'est joué de lui. Javier Cercas nous émeut en nous éclairant sur les secrets enfouis de sa famille originaire d'un village pauvre d'Estremadure : Ibahernando. En parlant de son ancêtre, il nous fait voyager dans son inconscient, dans ce qui aurait pu être tu. J'ai trouvé son approche de l'histoire, sa réflexion sur le passé et ces mystères, les sombres voies de la destinée d'un être, absolument passionnante. L'humilité de Cercas, qui sait pertinemment et reconnait qu'il ne pourra jamais atteindre les ultimes bastions de la vérité sur Manuel Mena, près de 80 ans après la fin de la guerre d'Espagne, m'a touché. Ses doutes, ses peurs, ses tourments, le lointain échos du fracas des combats, ce livre sur Manuel Mena c'est aussi celui d'une blessure intime dans la psyché de Javier Cercas. Mais ce dernier à la lucidité de ne pas juger.. car oui Manuel Mena, n'était qu'un jeune adolescent de dix-neuf ans, mort pour rien. Il n'était pas un fanatique mais bien un fantôme du pays des ombres mort psychiquement du fait des horreurs de la guerre, sans doute bien avant sa mort physique. Récit sur la survivance des souvenirs, sur l'effacement implacable du temps qui corrompt et détruit tout sur son passage, « le monarque des ombres », servi par un style sublime, est assurément un très grand livre. Une leçon magistrale d'une histoire dans l'histoire.
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Comme dans L'imposteur, son précédent livre, le romancier Javier Cercas délaisse la fiction pour mener l'enquête sur un personnage qui a gardé ses mystères derrière la légende. Mais dans le monarque des ombres il s'attaque à quelqu'un qui le touche de près, son grand-oncle Manuel Mena, mort à 19 ans, en 1938, dans des habits de phalangiste. Qui était-il vraiment ? Un naïf qui croyait que la cause du franquisme était bonne, un exalté ou simplement un garçon à peine sorti de l'adolescence qui n'avait pas d'autre choix eu égard à son environnement familial ? Javier Cercas raconte ce qu'il a pu reconstituer des derniers mois de vie de Manuel, sur le front, et parallèlement explique les tenants et aboutissants de sa quête sur des traces en grande partie effacées même s'il reste quelques archives et une poignée de témoins de l'époque y compris la mère de l'auteur qui l'a connu. On pourrait arguer que le livre de Cercas est surtout l'oeuvre d'un journaliste ou d'un historien mais ce serait mal connaître la force littéraire d'un écrivain qui interroge le passé et son legs avec le plus d'acuité possible, sans jugement a priori ni a posteriori, avec une sensibilité et une humanité qui sont celles d'un des plus grands prosateurs espagnols du XXIe siècle. Son enquête est passionnante, à la recherche de la vérité sur ce personnage statufié à peine mort, mais le sont aussi les à-côtés, les digressions (souvent drôles), les références littéraires (Homère, Buzzati, Kis) et finalement ce qui est le véritable thème du livre : qu'est-ce que les choix et le sort de Manuel Mena représentent comme héritage aujourd'hui dans la vie de Javier Cercas ? A l'opposé de tout ce qui s'écrit dans le registre de l'autofiction, le monarque des ombres possède une profondeur et une densité qui l'excluent de cette catégorie. Car cette fibre romanesque, elle est bel et bien omniprésente dans ce livre digne et sans concession à la recherche de ce qui constitue la part d'humanité en chacun de nous.
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Cela faisait des années que l'auteur espagnol Javier Cercas tournait autour de ce héros de la famille, jeune homme mort à vingt ans sur les bords de l'Ebre, mais le fait que rétrospectivement il ait été du mauvais côté, à savoir du côté du franquisme, était très certainement un frein à cette entreprise. Cela et aussi la mémoire des contemporains de Manuel Mena qui commençait à s'effacer… Pourtant, grâce à la proposition de son ami le cinéaste David Trueba qui lui propose de l'accompagner dans son village d'Estrémadure pour interroger et filmer ceux qui ont connu le jeune phalangiste, un projet de livre se dessine.
C'est avec plaisir que je retrouve Javier Cercas, dont j'avais lu avec un très grand intérêt L'imposteur. le présent livre relate scrupuleusement les recherches, les rencontres, en quête de la personnalité de Manuel Mena, mais curieusement, l'auteur parle de lui tantôt à la première personne, tantôt, notamment pour les membres de sa famille, en les nommant « le grand-père de Javier Cercas » ou « l'oncle maternel de Javier Cercas », un curieux dédoublement qui surprend, mais ne soulève aucun doute quand à la sincérité du propos.

Les dialogues entre l'auteur et David Trueba rendent très vivante cette quête, près de quatre-vingts ans après les faits, ainsi que le retour au village natal qui m'a rappelé le très beau livre de Carine Fernandez, Mille ans après la guerre. Impossible de ne pas se passionner pour tous les doutes et les questionnements soulevés par l'enquête de l'auteur, et ils sont nombreux, car il n'est pas forcément facile d'évoquer un ancêtre franquiste dans l'Espagne actuelle. Tous les moments où il réussit à faire remonter des réminiscences de la part de proches parents ou de voisins de son village s'avèrent également très émouvants, et j'ai vraiment été emballée par le style. La traduction me semble d'ailleurs parfaite pour mettre en valeur ce texte.
Un seul petit bémol concerne les recherches qui relèvent davantage des textes d'archives. Les formulations manquent parfois un peu de clarté pour qui ne connaît pas parfaitement les protagonistes de la guerre civile espagnole : les franquistes, les républicains, ça va, les phalangistes, on voit bien de quel côté ils sont, mais lorsqu'est évoquée « l'armée de Yagüe » de quel côté se situe-t-on ? Il faut quelques lignes à rechercher des indices pour trouver la réponse, retomber sur ses pieds et reprendre le fil, compliqué par des phrases très longues. J'aime beaucoup habituellement les phrases longues, mais lorsqu'il s'agit de guerre, de différentes factions, ça n'aide pas à la compréhension… Certains épisodes sont toutefois captivants comme l'approche de Teruel à la fin de l'année 1937, connue par les photos de Robert Capa et Gerda Taro, et qu'on retrouve ici, vue de l'intérieur. La fin est également une grande réussite, très belle et émouvante, elle révèle enfin la signification du titre…
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Écrire pour crever un abcès, pour comprendre un pan de l'histoire familiale et de la grande Histoire de l'Espagne, pour comprendre une honte, pour comprendre le choix d'un homme, d'un parent présent dans son arbre généalogique, écrire pour mieux connaître sa famille, pour mieux se connaître...tel pourrait l'objet de ce livre "Le Monarques des ombres".
Livre après livre, Manuel Cercas se penche sur des aspects méconnus de la grande Histoire et plus particulièrement sur la guerre d'Espagne, le fascisme.. On ne peut le soupçonner d'avoir été favorable aux thèses franquistes, loin de là. Depuis toujours il sait qu'un de ses grands oncles Manuel Mena (frère de son grand-père maternel) a été tué à 19 ans. Il était sous-lieutenant dans l'armée franquiste. Une rue du village d'Ibahernando dont est originaire une partie de la famille maternelle de l'auteur porte encore le nom de Manuel. Il a entendu parler de lui par sa mère qui se souvient d'un jeune homme souriant qui lui offrait des cadeaux.
Alejandro Cercas, député européen, dira même à Javier qu'écrire sur Manuel MENA est une idée casse-gueule "Tu es de gauche comme moi et notre famille est de droite."
Un projet qui "n'intéresse personne" selon d'autres !
Déterminé, Javier Cercas poursuit malgré tout son projet et partira à la rencontre des rares derniers survivants qui ont connu Manuel. Il traverse l'Espagne en compagnie notamment de David Trueba, cinéaste et écrivain (qu'il me fit découvrir et dont je parlerai bientôt), et contre l'avis de ce dernier, afin de filmer le dernier survivant qui connut Manuel. Il parlera beaucoup avec sa mère, et rencontrera également des historiens, des survivants de batailles, consultera des archives franquistes ou républicaines, visitera la vieille bâtisse qui servait d'hôpital de campagne, où Manuel mourut..... Il a besoin de comprendre pourquoi ce jeune phalangiste s'est engagé. Était-il opposé aux thèses républicaines, a-t-il été contraint, recherchait-il la gloire, soutenait-il les thèses phalangistes et fascistes? A t-il souffert de malentendus ou frustrations ?
Cette tentative de plongée dans l'esprit d'un jeune homme est passionnante car Javier Cercas n'analyse pas avec le regard d'un homme du XXIème siècle qui ne connut pas la guerre, mais tente de comprendre ce qui a pu motiver ce choix, qu'aucune prédestination familiale ne laissait supposer, tente de se replacer avec 80 ans de recul. Manuel aurait très bien pu être un combattant dans les rangs républicains. D'autres aussi sans aucun doute.
A partir de ce cas particulier, Javier Cercas, tente de comprendre les choix d'espagnols et de familles qui se déchirèrent en choisissant un camp plutôt qu'un autre, sans aucune supposition ou affabulation de sa part, en vérifiant ses sources, ou en se taisant quand il ne pouvait trouver la vérité. Une quête de vérité qui peut hanter chacun de nous.....
Et si ? Pourquoi ?....des questions de toute vie humaine, pour lesquelles nous n'avons pas toujours de réponse.
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Au-delà d'une plongée à vif dans les combats de la guerre civile espagnole, au-delà de la plaie béante qu'elle a léguée, Javier Cercas nous invite à convoquer le souvenir de ces hommes qui ont été entrainés dans cette guerre, pour servir les intérêts de ceux qui les y envoyaient et dont la seule logique était d'exterminer l'adversaire au mépris de toutes les vies vouées au sacrifice, comme prix de leur pouvoir usurpé dans le sang, le mépris et le mensonge.
Avec une émouvante sincérité l'auteur se place à égalité avec le lecteur, dans ses hésitations à faire le portrait de ce grand oncle, Manuel Mena, mort à 19 ans, dans les combats de l'Èbre, au service de la phalange et de ceux qui allaient s'employer à écraser l'Espagne au terme de leur victoire. Dans sa quête de ce que fut la vie et la mort de Manuel Mena, il aura soin à faire surgir derrière le fantôme du passé, ce qui pouvait animer ce très jeune homme dans ses espoirs d'abord, dans ses doutes ensuite. Il réussit un portrait en négatif, aux teintes grises et douces, d'un adolescent qui s'éveille à l'ailleurs, au contact d'abord de Elado Vinuela, son maître, puis à Caceres, dans sa dernière année de lycée.
Manuel commence à se sentir à l'étroit dans son village d'Estrémadure, Ibahernando. Dans ce village de paysans, la terre divise, elle brouille les appartenances de classes, fait miroiter des illusions, pèse sur les mentalités, les cultures et les engagements politiques. Il y a ceux qui la louent aux lointains aristocrates de Madrid, et multiplient les initiatives pour vivre un peu mieux, et il y a les autres, paysans, restés pauvres, sans terre, dans une quasi servitude marquée du sceau de la fatalité. le poids de la religion dans la conception de l'ordre social sera déterminant dans les choix à venir à partir de 1933, à Ibahernando comme ailleurs, crimes, règlements de compte, terreur au quotidien, deviendront un lot commun.
Manuel Mena fait ainsi un choix marqué par son appartenance familiale, et cet engagement, pour les siens, en fait un héros qui pourra braver la mort, une mort qui ne pourra être que « kalos thanatos », une belle mort, une mort à la hauteur de celle d'Achille dans l'Iliade. L'auteur recueille des témoignages qui sont l'occasion d'autres portraits émouvants, ces hommes et ces femmes de plus de 90ans qui disent chacun à leur manière les cicatrices de la guerre. Au fil des propos l'image de Manuel Ména change. Il devient vieux en un an de combat, il devient dans la mort, cet Achille qui réapparaît dans l'Odyssée, et qui fait l'aveu à Ulysse qu'il se préfèrerait vivant sur la terre d'un paysan que monarque au royaume des ombres.
Magnifique récit ans lequel Javier Cercas redonne vie à ce garçon et nous entraîne au feu des combats de Teruel et de l'Èbre, mais où il excelle aussi, à se mesurer lui-même à la mémoire des siens, à ses racines, à ce qu'est l'identité de chacun, faite de l'identité de tous ceux qui l'ont précédé et de ceux qui lui survivront. Il écrit dans une distance toute poétique qui le place toujours à la frontière de l'histoire, de la chronique familiale, de l'affabulation qu'il repousse mais qu'il évoque de temps en temps, dans un flirt esquissé. Il campe la vie de Manuel Ména à la façon d'un mythe éternel, celui de l'homme confronté à sa propre mort, comme le Drogo de Buzzati dans son ultime prise de conscience, comme le héros de la nouvelle de Danilo Kis, « Il est glorieux de mourir pour la patrie » dont l'exécution finale porte en interrogation le sens de sa mort.
le vingtième siècle a ainsi eu son lot d'hommes ordinaires croyant s'engager pour une juste cause et donner leur vie en héros, dans une mort qui à leurs yeux, et bien avant qu'ils ne la regardent en face, pouvait avoir un sens. Qu'en a-t-il été de tous ces têtes à tête muets ?
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Après L'Imposteur qui relatait l'histoire à peine croyable du président de l'association des anciens de Mathausen alors qu'il n'y avait pas mis les pieds, Javier Cercas aborde une nouvelle fois la conciliation impossible entre histoire et mémoire. Il est sacrément gonflé Javier Cercas: dans un pays où la repentance est obligatoire (par la loi mémorielle de 2007), écrire l'histoire de son grand oncle, jeune phalangiste, mort à 19 ans au cours de la terrible bataille de l'Ebre, fallait oser. Et bien c'est une réussite et un très beau travail d'historien (lui qui n'est pas historien), une belle et profonde réflexion sur la mort, sur la guerre et sur le bien et le mal. Jamais donneur de leçons, Javier Cercas bouleverse nos schémas et pose les questions qu'on n'a pas forcément envie de se poser.
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Javier Cercas écrivain espagnol se penche sur cette affreuse période que fut pour les espagnols la Guerre Civile qui dura presque 3 ans et fit des centaines de milliers de morts laissant un pays exsangue et des villages entiers détruits ou gangrenés par la haine du voisin qui s'était battu dans le camp d'en face.
Parmi ces morts, Manuel Mena, le plus jeune des oncles de la mère de Javier Cercas, qui se battait du coté des franquistes et qui a trouvé la mort à tout juste 19 ans le 21 septembre 1938 pendant la bataille de l'Èbre.
Javier Cercas revient sur l'histoire de ce grand oncle mort bien trop jeune pour ce que lui Javier Cercas estime une mauvaise cause
Et il essaie de comprendre comment un gosse de 17 ans tout juste sorti de l'enfance, le plus jeune des enfants de la fratrie pour qui tous ses grands frères s'étaient unis pour qu'il puisse faire des études et sortir de sa condition de paysan miséreux, a pu se porter volontaire auprès des troupes de Franco.
Javier Cercas va donc aller sur les pas de Manuel Mena et refaire le parcours que le jeune homme a effectué dans toute l'Espagne entre 1937 et son décès en septembre 1938.
En interrogeant les personnes âgées qui ont connu cette terrible période et qui même pour certains ont connu Manuel Mena, il se rendra compte que rien n'était si simple à l'époque.
Et qu'il est en difficile de juger 80 ans après les positions des uns et des autres.
Un livre documenté qui est un vrai rappel historique des faits qui ont amené à cette terrible guerre, et des descriptions des batailles sanglantes, sans oublier le tribu important des civils dont le plus "célèbre" a été le bombardement de Guernica par les troupes nazies qui combattaient aux cotés des franquistes et qui reste dans la mémoire de tous par le tableau de Picasso.
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Un bon roman, qui s'approche ďune blessure enfouie familialement et nationalement. La démarche m'a rappelé celle de Mendelsohn dans les Disparus, mutatis mutandis. Lu après les Soldats de Salamine et comme en complément sur la même thématique avec une démarche presque semblable. le style m'a plu même si je partage l'impression parfois de longueur et de maigreur de la "révélation" , lue dans quelques critiques ici. le contexte d'avant la guerre est bien rendu, et son déclenchement infernal où les hommes se retrouvaient prisonniers d'un engrenage tragique.
Un regret cependant : si la superbe référence à l'Odyssée explique profondément le récit, celle à l'Iliade, tout aussi efficace, paraît erronée. Achille est bien plus complexe et ne meurt pas dans l'Iliade. L'Achille évoqué est celui du mythe et non celui d'Homère.
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