M'étant rendue il y a peu en Catalogne du Sud et ayant fort apprécié mon voyage, il m'a paru intéressant de poursuivre l'exploration, par la littérature, de ces terres oubliées de la Generalitat (gouvernement catalan) et de découvrir cet écrivain controversé qu'est
Javier Cercas.
Terra Alta s'est révélé un vrai page-turner, que j'ai dévoré en quelques jours seulement (une des raisons pour lesquelles le roman se lit si vite est qu'il est rempli de dialogues, ce qui rend la lecture particulièrement fluide).
J'ai beaucoup aimé la description des paysages, qui m'ont rappelé mes impressions (notamment l'effet d'optique qui se crée à cause de la chaleur sur les routes : « l'asphalte de l'autoroute, où le reflet du soleil crée des flaques tremblotantes d'eau illusoire) et la mention de lieux où je m'étais rendue : Benifallet, Xerta, Tortosa, Riumar, Miravet… L'auteur excelle à retranscrire les ambiances, notamment celle du petit village où habitent les personnages, avec le bar sur la place du village où se croisent les différentes générations, et notamment les petits vieux.
Le roman est particulièrement ancré dans le réel et notamment dans la politique : l'écrivain fait référence au referendum sur l'
indépendance de la Catalogne d'octobre 2017 (le fameux « 1 d'octubre ») à et à
Carles Puigdemont, aux moyens limités de la police et au mauvais salaire des fonctionnaires qui y travaillent…
Le personnage principal est un peu caricatural des policiers que l'on retrouve dans les polars : torturé, hanté par son passé et épris de justice. le lecteur fait donc la connaissance de Melchor, qui porte ce prénom car lorsqu'il est né sa mère a trouvé qu'il ressemblait à un roi mage. Fils de prostituée, ancien taulard et héros des attentats islamistes, Melchor est envoyé en
Terra Alta par ses supérieurs, soucieux de le protéger des conséquences que pourraient avoir son acte de bravoure à Cambrils. Il commence à travailler dans un petit commissariat où la plupart de ses collègues sont indépendantistes. Il y fait la connaissance d'Olga, une ravissante bibliothécaire, de quinze ans son ainée, et, après quelques discussions littéraires (qui portent principalement sur des romans français,
Javier Cercas semblant particulièrement passionné par la littérature française : Hugo, Perec, etc) tombe vite sous son charme. Il finit par se marier avec elle et avoir une fille, nommée Cosette en l'honneur du personnage des Misérables
L'intrigue commence in medias res, comme souvent dans les romans policiers : un couple de personnages âgées, les Adell, est retrouvé mort dans leur propriété. La particularité de ce meurtre : la torture, ce qui conduit les enquêteurs envoyés sur les lieux à écarter la piste du vol. Sur la liste des principaux suspects, on trouve leur fille, leur gendre et le gérant de l'entreprise dont ils étaient propriétaires. L'enquête piétine rapidement et au bout de quelques semaines, l'affaire est classée, au grand dépit de Melchor, qui se met à bosser sur l'affaire en dehors de ses horaires de travail, ce qui lui vaut un rappel à l'ordre de sa hiérarchie. Melchor se voit alors forcé d'arrêter son enquête officieuse, pour un temps du moins. Il la reprend rapidement à la mort (supposément accidentelle mais rien n'est moins sûr) de sa femme, qui, il en est persuadé, a un lien avec les assassinats des Adell survenus quelques semaines plus tôt. Spoiler(cliquez pour révéler)Parviennent alors à Melchor des messages mystérieux qui l'orientent sur une piste qu'il n'avait pas identifiée plus tôt, et qui lui permettent de recoller les pièces du puzzle, et donc de coincer l'assassin.
Le choix d'alterner chapitres au présent et au passé fonctionne bien, mais j'aurais apprécié un peu plus de passages sur la guerre civile, qui est présente dans le roman (et surtout son dénouement) mais qui gagnerait à être développés, ne serait-ce que pour la gouverne du lecteur étranger. D'un autre côté, l'action du roman se situant de nos jours, il est logique que la plupart des acteurs de la guerre ne soient plus de ce monde (c'est d'ailleurs pour ça que l'auteur a choisi comme victimes des nonagénaires), et donc que la mémoire « directe » de la guerre s'efface progressivement de la conscience collective . J'aurais aimé que l'auteur crée une sorte de huis-clos villageois étouffant, alimenté par de vieilles rancunes et des histoires de famille. Car si c'est bien de vengeance familiale qu'il s'agit, et si le motif des assassinats se trouve dans le passé, le lecteur vient presque à regretter qu'il n'y ait pas de flash-back plus anciens que l'arrivée de Melchor en
Terra Alta, qui remonterait à la guerre civile ou au début de la dictature.
Le dénouement n'est pas très original, sans doute par le nombre de suspects, somme doute assez réduit, mais il a le mérite d'être réaliste.
J'ai hâte de me plonger dans le deuxième tome de cette trilogie, «
Indépendance », qui s'annonce assez politique.