Après la neige

La jungle des malfaiteurs est un écosystème impitoyable, où règne la loi du plus fort et où tout espace laissé vacant est aussitôt occupé. J’en ai toujours été conscient, et c’est en connaissance de cause que je me suis lancé dans le bizness.

J’ai jamais fait d’études, mais j’ai toujours su lire les gens, comme toi tu lis des livres. Et toi, je t’ai tellement lu que je peux voir les mots à travers la couverture. T’as pas besoin de les dire, mon vieux, je les connais. Je les sais.

Infatigable, elle sillonne toutes les ruelles les plus reculées où elle trouve toujours un public félin et canin tout acquis à sa cause. Et systématiquement, une âme charitable est sur place pour l’aider.
Comme quoi, certaines causes mobilisent plus que d’autres.

Il se produit en moi des changements que je n’aime pas du tout.
Ce sentiment de culpabilité qui m’assaille quant à la mort de Damien me perturbe. Jamais cela ne m’était arrivé avant, en tout cas pas depuis quelques années. Je suis plutôt du genre à me foutre totalement des conséquences de mes activités tant que ces dernières sont florissantes et me rapportent en conséquence. Et si cela devait se reproduire, ça mettrait tout en péril. Comment continuer avec la culpabilité chevillée au corps, si chaque entorse à la morale et à l’honnêteté se transforme en torture ?

Elle vit sa vie par procuration, se projette en chaque passant, chaque habitant de ce quartier, jusqu’à devenir ces autres, le temps qu’ils traversent l’intervalle entre les deux montants de sa fenêtre et disparaissent à sa vue.
Depuis le départ du père de ses enfants, plus personne, en dehors de ses garçons, n’a partagé sa vie.
Lorsqu’elle est tombée malade, quelques années en arrière, ils se sont occupés de tout, ont tout pris en charge pour qu’elle ne manque de rien.

Ce petit clébard mange comme une meute au complet. Si mes moyens n’étaient pas ce qu’ils sont, je serais obligé de me prostituer, moi aussi, pour le nourrir.
Quantité, qualité, cette bestiole coûte plus cher au kilo engraissé que le caviar.
Mais j’aime bien sa gueule. J’ai toujours eu un faible pour les chiens, leur enthousiasme constant, leur entrain. Dans ces quelques kilos de plis se logent les plus puissants anti dépresseurs qui soient.

Je n’ai jamais cogné les filles, et probablement ne les cognerai-je jamais, contrairement au père de Fabio. Lui s’en servait régulièrement de sac de frappe, à commencer par sa propre femme.
Disons que je suis un gentil enfoiré. Ou un travailleur consciencieux. Je n’abîme jamais mes instruments de travail.
Elles le savent, en jouent, et connaissent parfaitement les limites. Elles sont conscientes aussi que tant qu’elles restent mes favorites, elles n’auront plus à bosser dans la rue, à faire des pipes pour trente euros.

Mon appartement n’a rien de luxueux.
Même si mes moyens financiers n’ont rien de commun avec ceux des habitants du quartier, je tenais à rester au plus près du centre de mes affaires. Et ici, aucun bâtiment ne brille par la beauté de son architecture.
Mais je m’en fous, j’ai tout le confort nécessaire, et la sécurité qui va avec.

J’aime autant ces gens que je les méprise. Des rats d’égout, guère plus propres en tout cas, guère plus respectables. Mais chacun fait ce qu’il a à faire pour survivre, sortir la tête de l’eau, fuir comme il peut ce quotidien qui le tue.

La peur est un moteur puissant dans les deux sens, elle nous pousse à nous surpasser, et elle retient tous ceux qui auraient des velléités de prise de pouvoir.