Ce roman est le récit d'une trahison, une chute, une dévastation. Une femme, Médée, est abandonnée par son mari au moment même de prendre l'avion. Cet abandon la plonge dans un état de sidération ; fracassée par la soudaineté de cette rupture, elle est incapable de quitter le huis-clos de l'aéroport et se retire dans une chambre de l'hôtel attenant.
Là, Médée se souvient : ses pulsions créatrices de sculptrice, sa rencontre avec Ismaïl, son futur mari, leurs enfants qu'elle aime tendrement, son dévouement et son amour inconditionnel envers son mari. Ce voyage intérieur, métaphorique, dure plusieurs jours, au cours desquels elle analyse et dissèque son chemin de vie, ses relations familiales, prostrée sur son lit d'hôtel, anéantie par la douleur, mais tentant de comprendre.
C'est aussi une réécriture du mythe antique de Médée, la femme puissante abandonnée par Jason qui veut en épouser une autre. L'auteure donne une issue différente au mythe, car notre Médée ne se venge pas comme la première en tuant ses propres fils, mais en ressurgissant de cette perte.
A travers le rebondissement de la protagoniste, une réflexion est ouverte sur la perte, quelle qu'elle soit, abandon amoureux, déracinement de réfugié, une exploration de ce qu'une perte fait en nous et de la force qu'on peut puiser dans la fragilité même. Car nous sommes tous condamnés à être un jour confrontés à la perte, écrit
Yasmine Chami : « Qui n'est pas réfugié de quelque part ? D'une enfance, d'un amour, de sa propre jeunesse enfuie, des liens cassés, d'un pays en guerre, d'une perte qui n'a pas de nom ? » (p.109).
Ce roman émaillé de références mythologiques et littéraires (Chimène du Cid, Pénélope, le duc de Guermantes, une héroïne d'un conte d'Andersen) remet en question la place de la femme dans la société et dans le couple. Si Médée est tout d'abord soutenue discrètement par son fils, c'est la rencontre d'une Irakienne réfugiée, Tanya, qui va être déterminante. Cette femme qui a presque tout perdu, elle (son statut social, ses racines et son passé, son mari, un de ses enfants), lui demande de témoigner de la perte à travers son art, de donner un visage à tous les perdants du monde. Médée, qui cherche à comprendre dans ses sculptures ce qu'est le lien, le rapport entre les êtres humains, va se saisir de cette demande pour se relever à travers son art, depuis toujours sa raison de vivre, à côté de sa famille.
J'ai aimé ce traitement de la puissance des femmes et de la sororité, ainsi que les longues phrases proustiennes (jusqu'à dix-sept lignes), mais moins les dialogues entre Médée et Tanya, dans une langue trop littéraire et formelle.