Vos relations ont été compliquées avec ces deux derniers.
Bien entendu ! Étant donné la force du Front national à l’époque, Nicolas Sarkozy avait compris qu’il fallait aller chercher ceux qu’il appelait « les brebis égarées », c’est-à-dire les électeurs qui n’avaient pas compris que c’était lui le représentant, caché, du Front national. Il fallait les appâter. Les appâter oui, mais avec quoi ? Avec plus de crèches ? Plus de tramways ? Plus de propreté dans les villes ? Ou plus de sévérité envers les jeunes Arabes et les jeunes Noirs des banlieues ? Plus de police ? Plus de matraquage ? Plus de Kärcher ? Évidemment, il a retenu la deuxième option. Il y est allé avec les coudées franches et il a institutionnalisé le racisme. Quand vous êtes engagé, franc, déterminé à dénoncer l’islam, l’invasion des musulmans, la France du halal, vous marquez des points en politique. Nous en sommes là… D’ailleurs, le mot « banlieue » est presque le synonyme des mots « maghrébin » et « musulman », qu’on le veuille ou non. Un jeune des banlieues, c’est un jeune qui a une tête d’Arabe ou une tête de musulman, si je puis dire. Je ne pouvais donc pas ne pas réagir quand il a parlé de « racaille ». Ce n’est pas digne d’un ministre de s’exprimer en des termes aussi véhéments. C’est ainsi que j’ai commencé à dénoncer – ce que Nicolas Sarkozy n’a jamais accepté – sa sémantique guerrière. Ce n’est pas en déclarant la guerre sur la dalle d’Argenteuil que vous allez résoudre une quelconque partie des problèmes des cités. Bien au contraire ! En tant que ministre de l’Intérieur, il aurait dû agir comme moi et inviter ces jeunes à s’inscrire sur les listes, à voter, à s’exprimer et à s’engager en politique, plutôt que de les « kärcheriser ». Un jour, lors d’une conférence à Marseille, où, parmi les 300 personnes présentes dans la salle, certaines ne comprenaient pas pourquoi j’étais dans le même gouvernement que Nicolas Sarkozy au regard de mes positions sur les banlieues, je me suis énervé : «Je ne m’appelle pas Azouz Sarkozy!» Que n’avais-je pas dit ! La guerre était lancée. Là-dessus, à l’Assemblée nationale, Brice Hortefeux me tombe dessus : « Fissa, fissa ! T’es toujours là, toi ? Dégage, dégage ! » Cela m’a profondément marqué. Dominique de Villepin m’a rassuré : « Ils veulent que le bicot démissionne, mais tu resteras. »
Interview se Azouz Begag