Justice 65

Un jeune avocat revient au palais de justice de Paris après un sommeil accidentel, un coma, de dix ans. Il ne reconnaît plus rien : la justice est désormais rendue par des machines qui fonctionnent sur le principe des machines à sous.
Etant entendu que le hasard entrait pour beaucoup dans les décisions rendues par les juges et que pourtant, les statistiques révélaient toujours à peu près les mêmes proportions de jugements favorables et défavorables, il a été décidé de laisser définitivement au hasard, et aux machines, l'élaboration de ces décisions.

Curieux ouvrage qui fait s'affronter le beau concept de Justice (celle avec majuscule) à la fatalité du hasard, à la préoccupation du rendement, à la paix civile aussi, puisqu'aussi bien, on ne peut en vouloir aux machines de ce que l'on reprochait aux juges qui « n'obéissaient qu'à l'infinie complexité des impulsions qui se combattaient sous leur crâne et dont seules les lois du hasard pouvaient rendre compte ».

Si le roman se « termine bien », est-ce parce que l'auteur ne veut pas contrarier la morale de ses lecteurs, ou est-ce par la conviction profonde qu'on attend d'un avocat ?

Car enfin, comment Jacques Charpentier (1881 – 1974), avocat, bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris pendant huit ans, réussit-il si bien à se faire l'avocat du diable ? Son constat d'une justice qui devrait davantage au hasard qu'à la compétence ou l'honnêteté intellectuelle, même s'il le fait exprimer par un personnage très antipathique de son roman, est assez argumenté pour laisser un sentiment de malaise : avis du personnage, ou opinion de l'auteur ?

Ce livre vient ajouter, pour moi, aux ombres qui entourent la personnalité de Jacques Charpentier, « très à droite, très vieille France », dont l'attitude pendant l'Occupation a prêté à critiques, qui était favorable à la peine de mort. Un ténor peut-être, mais une voix qui écorche les oreilles.