Itinéraires de centenaires

Il y a mille et une façons de mourir jeune. J'ai connu un sportif qui voulait être célèbre. C'était un coureur cycliste au- delà de la moyenne, mais il avait rarement la première place sur le podium. Il s'est adressé à un spécialiste belge du dopage. Il ne s'est pas fait pincer, il a eu son heure de gloire et est mort à 50 ans, heureux et fier de ses jambes. À ses obsèques, on a célébré son fair-play et son esprit sportif. Sa veuve réussit à vendre très cher ses trophées et son vélo. Elle épousa un phila- téliste ennemi de tout effort physique. Ils vécurent très vieux.

Jacques Attali, qui fut le conseiller de plusieurs présidents de la République, a préconisé l'euthanasie de tous les citoyens à l'âge de la retraite. L'adoption de son projet résoudrait un certain nombre de problèmes d'actualité. Il y a un hic : son promoteur n'a pas donné l'exemple; il a 79 ans et de grosses chances de devenir centenaire.

Le tabac fait mauvais ménage avec la longévité, mais j'ai connu un très gros fumeur qui a toussé, craché et haleté jus- qu'à 97 ans ; ne suivez pas son exemple : ses journées étaient pénibles, ses nuits aussi.

Le célibat semble favoriser les femmes et le mariage paraît profiter aux hommes, en durée et en qualité. Il est rassurant de pouvoir compter sur son conjoint si l'on sait qu'il est capable de tenir la barre tout seul et que rien ne changera à la complicité et au respect mutuel si les capacités cognitives sont en baisse. Même à cent ans, l'amour peut faire des miracles.

Un des derniers best-sellers (traduit dans plusieurs langues) prône le cannabis comme viatique pour atteindre les cent ans. C'est vendeur, "c'est sponsorisé ", c'est tentant, mais c'est dangereux pour vous et pour les autres si vous conduisez un véhicule.

Un grand amour ne survient jamais d'emblée ; il n'est possible qu'après une passion déçue. Roméo avait été repoussé par Roseline avant de rencontrer Juliette; Cléopâtre avait connu César avant Marc-Antoine; Marie Stuart avait épousé Darnlay avant de nourrir une passion dévorante pour Bothwell; Gala était mariée avec le poète Paul Eluard avant de tomber folle- ment amoureuse de Salvador Dali. La sagesse serait de répartir son capital d'amour au long de la vie, de ne pas gaspiller d'un seul coup le bien le plus précieux de la vie, mais la sagesse est rare, et après un échec ou un contact peu satisfaisant, on est prêt à risquer d'un seul coup tout ce qui reste d'amour en réserve. C'est un jeu proche de la roulette russe, parfois la réussite, parfois la tragédie.

La seule caractéristique commune à tous les centenaires que j'ai connus, de près ou de loin, est que tous avaient vécu à pleine vie, accepté les imprévus, bons et mauvais, sans comp- ter les années. Tous étaient conviviaux et généreux selon leurs possibilités. Certains étaient repartis en avant après avoir tout perdu et avaient gagné.