Évidente variation moderne du "
Don Quichotte" de
Cervantès, le "Mancha _ Chevalier errant" de CMAX déploie une intertextualité immensément riche, qui tour à tour fait référence à des musiciens tels que Brel ou
Noir Désir, aux philosophes Diogène ou
Nietzsche, aux poètes
André Breton,
William Blake et
Rimbaud, aux peintres Basquiat,
Max Ernst, Picabia, à des films aussi... Enfin à tout ces artistes utopistes, philanthropes, illuminés...
Évoluant dans un Mali contemporain, Mancha est un rescapé des massacres entre Hutus et Tutsis au Rwanda. Est-ce depuis ou a-t-il toujours été tel qu'il est ? Fuyant une réalité trop crue pour s'en inventer une toute aussi cruelle. « Heureusement que l'art est là pour supporter la vérité !» dira-t-il.
Peintre et poète, il est artiste inadapté, rêveur et un peu fou. Mancha vit dans un monde bien à lui, volontiers cynique à l'instar de Diogène, il fait preuve d'un stoïcisme poétique. Il répondra par exemple à son seul ami Sancho qui lui suggère de « gagner sa vie » : « Ma mère me l'a déjà donnée, non ? Pourquoi diable perdrais-je mon temps à gagner ma vie ? ». Ses échappatoires, peinture, amitié, champignons hallucinogènes ou autres psychotropes le condamne à des visions horrifiantes.
Toujours un joint aux lèvres, il médite, palabre avec son fidèle ami ou virevolte en tout sens selon le degré d'ivresse auquel il est sujet. Ses visions prennent forme tohu-bohu si bien qu'il serait aisé de le prendre pour un aliéné. Éternel rêveur, redresseur de torts, il se définit lui-même comme un chevalier errant, défenseur des opprimés.
Quand un jour, alors qu'il est en ville avec Sancho il croise le regard d'une femme blanche dans un taxi... le voilà amoureux transi... Il mettra cependant quelque temps avant de déclarer sa flamme, trop de temps... Alonzo Loren dite Dulcinéa est déjà repartie pour Paris. Dès lors il n'a plus qu'une idée en tête, la retrouver...
Il enfourche sa moto et, accompagné de son ami affrontera des armées de créatures malfaisantes ou autres monstres terrifiants issus de son imagination. Traversant les mers et les frontières, il part à la rencontre de ses propres chimères...
Les sujets ici traités touchent l'exil, la souffrance liée à la guerre, la difficulté à être différent, la liberté, l'amitié _la vraie, l'amour _un peu et surtout la fantasmagorie, l'onirisme et les paradis artificiels. Au travers du personnage de Mancha se dévoilent les réfugiés du monde entier, les néo-romantiques des seventies, les beatniks ou les artistes d'avant-garde, comme si l'être désenchanté qu'il incarne représentait un peu de chacun, depuis un arraché de force à son pays imprimé d'horreur, à un autre, voyageur insouciant en quête de son essence profonde.
le dessin et surtout les couleurs donnent au récit une dimension supplémentaire. le trait de Cmax restitue habilement les atmosphères des villages typiques du Mali, des paysages africains ou de la métropole Parisienne.
Ambiances suaves et langoureuses par l'usage de couleurs chaudes : chocolat, bistre, ocre... Progression vers des tons plus froids : bleus ou verts, alors que les deux compagnons approchent de la France et de sa capitale puis vient la grisaille dévoreuse qui pareille à une suie collante envahi le décor lorsqu'ils arrivent à destination. Les hallucinations de Mancha revêtent quand à elles, le jaune ou le rouge et se mélangent pour former des visages répugnants tous droits issus de délires hallucinatoires. Les cases mêmes d'abord strictement dessinées s'amollissent et singularisent l'état d'ivresse. Les rêves cauchemardesques de Mancha se colorent de rouge. le traumatisme des massacres belliqueux entre Hutus et Tutsi restera à jamais encré de sang qui coule.
Ce one-shot, c'est un peu un « road-trip » entre Afrique et Eldorado français, entre réalité crue et imaginaire débridé où
Mancha, chevalier errant vit une bohème créative, désenchantée et psychotique.
Voici une bande dessinée qui fait la part belle aux croisement des arts ! Appréhender ainsi à la fois un auteur du XVIIe siècle :
Cervantes, des musiciens du XXe, des peintres comme Basquiat, Picasso ou
Max Ernst, des poètes-philosophes tels que Blake ou Huxley n'était pas pari aisé et pourtant Cmax l'a fait avec brio en rendant compte de l'intemporalité de l'oeuvre d'art au sens large.