En mer, quand la mort s’approche, il faut ouvrir grands les yeux et la regarder en face; alors elle fait moins peur, c’est comme tu allais descendre à quai. C’est pour ça qu’un naufrage est moins dur sur une barque que sur un navire. Sur une barque
on regarde la mort dans les yeux, on a envie de se lever et de marcher á son bras au milieu des vagues, mais sur un navire tout est trop grand, il y a trop de bruit,d’appels, la mort s’annonce de façon si terrifiante, que lorsqu’elle arrive on est comme fou.
Plus grand est le bateau, plus dur est le naufrage.
Nous sommes comme la glace, la vie nous fait parfois chavirer et nous changeons de forme.
Les hommes deviennent les jouets des éléments et seul un obscur héroïsme leur permet de ne pas se jeter dans les bras de la mort qui attend.
Les flots redoublaient de furie; ce n'était plus l'océan mais un univers de folles montagnes liquides qui dansaient en se fracassant les unes contre les autres. Le vent hurlait, mugissait, des torrents de pluie s'abattaient comme une mer se déversant d'en haut. De temps en temps on entendait des cris lacérants, plaintifs, des appels retentissants jaillissaient des flots et du vent. C'était la voix de la tempête.
Plus grand est le bateau, plus dur est le naufrage.
Quand nous nous sommes séparés au bord de la plage, il m’a dit : “Nous sommes comme la glace, la vie nous fait parfois chavirer et nous changeons de forme.”
Le vent continuait de hurler dans les cordages et un coup de tambour colossal interrompait parfois la symphonie de cette nuit déchaînée lorsqu'un foc mal bordé claquait en ondoyant.
Quand on sera dans le canal Murray, vous verrez comme les courants changent ; là-bas, les phoques n'ont pas peur des hommes et on a l'impression qu'on pourrait attraper les étoiles avec la main.
Le jour du départ, le livre de bord mentionnait trois cents hommes d’équipage. Ils étaient en réalité trois cent un. Nul ne savait rien, encore, de ce passager supplémentaire. Dans une soute de proue, pelotonné au milieu des rouleaux de cordages et de chaînes, un gamin d’une quinzaine d’années tremblait dans l’obscurité et attendait.
Le vieux navire semblait avoir une âme. sa belle figure de proue relevait la tête, scrutant les horizons lointains, et fendait avec fougue le grand jardin d’écume et de vagues. Pour son dernier voyage un nouveau fils lui était né en pleine mer : Alejandro Silva, le dernier mousse du Baquedano, surgi de ses entrailles comme du fond noir de l’océan.
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