C'est long 680 pages, en particulier si l'on a aucune appétence pour la musique, dans ce cas, il vaut mieux passer son chemin sans attendre.
En revanche, si vous vous laissez entrainer, voilà un roman avec un nombre restreint de protagonistes, situé quasi-exclusivement à New-York, vous savez les rues de East side à hauteur du Métropolitain Museum, dans des quartiers approximatifs après la 80ème rue!
Le script est banal, celui d'une success story. Oui, mais, l'écriture fluide de Conroyd emporte le lecteur dans ce conte de fée réaliste évocation des années post deuxième guerre. Claude Bowlings le jeune musicien sans père va rencontrer quelques célébrités de l'époque, sans exclusivité entre la musique classique et le jazz qui envahit les clubs.
S'il ne fallait ne retenir qu'un passage, c'est la première fois que je vois décrit de façon magistrale comment un génie visualise les phrases musicales préalablement dans sa tête avant de les jouer, et peut ainsi se concentrer sur le phrasé ou l'intonation qu'il va introduire sans l'exécution.
Et oui le génie musical à l'état pur, c'est avant tout une affaire de gène, ensuite pour percer il ne faut pas de gêne, autrement dit de savoir se comporter en société et avoir l'opportunité d'accéder aux meilleurs professeurs.
C'est là qu'intervient la fée, sous les traits d'un Weisfeld, propriétaire d'un magasin de musique, rescapé de la shoah, sans descendance, qui se rattrape en chaperonnant le jeune Bowlings, balloté par les abus d'une mère célibataire, chauffeur de taxi, toujours sans le sou.
Et l'on se surprend à lire sans relâche cette histoire bien écrite, à rencontrer des familles aisées, à fréquenter les écoles réputées. Conroyd dresse en creux un portrait de l'Amérique des années 50, évoque la chasse aux communistes, et la pression immobilière dans "La pomme" en pleine ébullition, et égratigne au passage les turpitudes familiales des bourgeois parvenus.
Il y a de nombreux passages très documentés sur la musique, les règles d'harmonie, et la façon de s'en affranchir. J'y vois un parallèle évident avec la carrière de Ennio Morricone, dont la bio vient de sortir au cinéma: beaucoup travailler avec des maitres reconnus et connaitre tous ses classiques pour mieux créer… en dehors des sentiers battus.
Bowlings réalisera, mais un peu tard, que le père inconnu avait peut-être aussi le gène de la musique.
Le roman, qui jusque-là a pris son temps, accélère et se termine par un final flamboyant à Londres, Bowlings naviguant entre les répétitions d'un premier concert de sa création avec le LSO, et les nuits jazzy chez
Ronnie Scott . En bonne compagnie, bien sur.