Ribera est à ce point exalté qu'en 1606 — il a dix-huit ans — il fait faux bond à la pacifique carrera de las letras et tente la peinture sous Ribalta. Valencien d'origine et, après un séjour en Italie, revenu dans sa « capitale », celui-ci travaillait pour les églises où il décollait, écorchait, lacérait, crucifiait, lapidait, rétissait plus de martyrs qu'il y eut sous Dioclétien. Il pratiquait l'antithèse du bourreau bestial et de la sainte en extase qui attend en douceur le coup du lapin ; l'un et l'autre colorés au point qu'ayant vu à Majorque, il y a un quart de siècle, une de ses toiles dans la galerie du comte de Monténégro — vendue depuis à des Américains—le manteau violet dont il drape une de ses victimes caresse encore mes yeux de mémoire, tel un dévot à qui la hantise de son église tient dans l'éclat d'un vitrail.
Sur les premiers pas de Ribera en Italie, les chroniqueurs italiens nous en content. Fables que la bienveillance n'a pas dictées. L'Espagnolet — ainsi l'appelaient-ils non sans dérision pour sa petite taille — l'Espagnolet avait dans l'âme la hauteur qui lui manquait à la toise. Il bravait. Les peintres alors se disputaient les décorations de chapelles avec autant d'âpreté qu'aujourd'hui celles des théâtres et des mairies. Voilà un concurrent de plus et qui usurpe, étant étranger. Dans sa Vie des peintres Vasari le loue « pour sa richesse et sa solidité espagnoles,.. » mais ne lui fait pas l'honneur d'un chapitre.