Lam, la truite est un récit très poétique de la vie d'une truite superbement écrit avec des descriptions imagées du milieu aquatique qui immergent complètement le lecteur dans le milieu naturel sauvage du torrent, de la rivière, de leurs populations, à l'ombre des montagnes.
L'auteur raconte l'existence d'une truite, qu'il nomme Lam, depuis sa conception jusqu'au temps où elle-même va remonter le torrent pour rejoindre la frayère et donner à son tour la vie.
Une poésie vivante imprègne tout ce récit, l'auteur assimilant les torrents, rivières et leurs habitants à des entités presque humaines. On assiste ainsi aux "empoignades" des eaux, aux cris des "bouches des remous". Et dans cet univers naturel, une truitelle, Lam, va grandir, affronter mille dangers, s'instruire des réalités de la faim, de la douleur, puis de la vitalité, de la puissance souveraine d'un poisson parmi les plus beaux, les plus sauvages, ces truites reines des courants.
L'auteur attribue un nom propre à tous les habitants de la rivière, la couleuvre, le martin-pêcheur, le rat, le lucane et leur donne un rôle au coeur de la vie de Lam, la truite.
Ce texte est suivi de trois très courtes nouvelles halieutiques, où le style est toujours là, mais qui extraient trop vite le lecteur des courants de vie de Lam, la truite, la seule véritable héroïne de ce récit.
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C'était la fin d'octobre. Dans l'automne frissonnant, les truites allaient vers l'amont en glissants pèlerinages, par deux, par trois, par groupes aux ombres troublantes.
Les sialis quittaient l'eau et venaient sur les bords déplier leurs ailes nervurées; dans les boues fines, les chironomes abandonnaient leurs dépouilles de sang et d'ocre et se rassemblaient en vols, au crépuscule; les mouches des pierres, adultes à un an, quittaient leur peau transparente pour la dixième fois, et, alourdies par leurs oeufs, escaladaient les granits en cahotant; les petites nemoures s'écartaient des berges pour entreprendre leur vol nuptial; les éphémères de trois ans, ceux qui rampent, ceux qui nagent, ceux qui fouissent, les éphémères jaunes, rouges, bruns, noirs, se réunissaient en essaims, s'accouplaient, pondaient et tombaient mourants sur leur ponte;des phryganes aux ailes poilues, au vol pesant et silencieux, s'échouaient et pondaient n'importe où...
Le Gouffre noir!
Il reste dans son isolement glacé, fermé aux étoiles. Sa chair s'en va en lambeaux animés qui sont des sources, en épanchements, en sanglots, en fureurs, qui sont de la vie...
Une haleine courut sur la crête des pins comme un souffle sur une aigrette; des plaintes se faufilèrent dans les ravines.
Puis, une flamme, un cri. Un éclair poignarda la montagne. La montagne hurla. A ce double signal, les tonnerres tonitruants dévalèrent les pentes par tombereaux; du ciel à la terre, des flèches de feu ricochèrent, se brisèrent au flanc des rochers et des nues; un rideau oblique d'averse crépita à travers le tumulte soudain détendu.
Les neiges et les gelées crucifient la terre. C'est le moment où les muscles du granit éclatent, où les crevasses ressemblent à des blessures bourrées de coton. C'est le moment où les brouillards, en cohortes fantomales, se décident à descendre dans les vallées; leurs souffles déguenillés s'étirent et rampent, arrivent en désordre à Evolette, où le vent de la Teste les rudoie et les mêle aux fumées du village.