― Tu as vu Hitler, connais pas ?
― Non, répond Winnie.
― Un film de Bertrand Blier. Un très jeune metteur en scène, vingt-quatre ans. Il a interrogé des gens de notre âge. La plupart ne savent même plus qui c’est, ce nazi moustachu !
Winnie essaie de minimiser :
― Ils en ont sans doute un peu assez de la guerre de papa. La Collaboration, la Résistance, l’Indochine, la guerre d’Algérie. C’est biologique : la mémoire encombrante des parents nous ennuie. On veut passer à autre chose.
Ce que reproche Antoine à ses contemporains, c’est leur dépolitisation.
― On ne peut pas échapper au poids de l’Histoire. On ne peut pas tout dédramatiser comme ça tout le temps. Une génération de moutons !
Dans cette France apaisée, la génération dont fait partie Lorenzo est en attente d'événements. En attente d'une dose quotidienne d'Histoire. En demande d'épopée. (…) Brinquebalé sur la plate-forme de son bus 138, Lorenzo le pressent: la "nouvelle vague", chantée par Richard Anthony, est déjà dépassée.(…) Cette dernière morte et enterrée, reste à Lorenzo et à ses amis à penser un nouveau monde, un monde de transition qui doit s'inventer. Parfois difficilement. Qui doit trouver de nouvelles références. Une nouvelle identité.
Lorenzo semble pétrifié. Les filles ont toujours eu un train d’avance sur les garçons. Il pourrait répliquer : Et toi, tu as déjà flirté ? Tu as déjà embrassé un garçon ? Mais il ne dit rien. Lui qui a vu La Fureur de vivre, qui a vu et revu West Side Story ne connaît rien au discours amoureux qui est en train de s’installer. Si on apprend au cinéma ce que c’est qu’un baiser avant de l’apprendre dans la vie, on apprend aussi ce que peut être l’amour dans les chansons. Johnny Hallyday chante T’aimer follement. Mais c’est quoi t’aimer follement ?
Lorenzo sait bien qu'il a un rapport étrange à la lecture. Qu'on lui reproche - son père, sa mère - d'avoir toujours "le nez dans ses bouquins". Mais pour lui les livres sont comme des amis dont il sait qu'ils ne le tromperont jamais. Qui le sauvent de la solitude. Qui agrandissent son âme.
On se voit quand on veut se voir. Le hasard plie les feuilles du temps qui passe à sa guise;