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Citations sur Cronopes et Fameux (11)

Instructions pour chanter

Commencer par casser tous les miroirs de la maison, laissez pendre vos bras, regardez vaguement le mur, oubliez-vous. Chantez une seule note, écoutez à l'intérieur. Si vous entendez (mais cela ne se produira que plus tard) quelque chose comme un paysage plongé dans la peur, avec des feux entre les pierres, avec des silhouettes à demi nues et accroupies, je crois que vous serez sur la bonne voie, de même si vous entendez un fleuve où descendent des barques peintes de jaune et de noir, si vous entendez une saveur de pain, un toucher de doigt, une ombre de cheval.
Après quoi, achetez des partitions, un habit et, de grâce, ne chantez pas du nez et laissez Schumann en paix.
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D’une lettre jetée sur la table s’échappe une ligne qui court sur la veine d’une planche et descend le long d’un pied. Si l’on regarde attentivement, on s’aperçoit qu’à terre la ligne suit les lames du parquet, remonte le long du mur, entre dans une gravure de Boucher, dessine l’épaule d’une femme allongée sur un divan et enfin s’échappe de la pièce par le toit pour redescendre dans la rue par le câble du paratonnerre. Là il est difficile de la suivre à cause du trafic mais si l’on s’en donne la peine, on la verra remonter sur la roue d’un autobus arrêté qui va au port… Elle monte sur le bateau aux sonores turbines, glisse sur les planches du pont de première classe, franchit avec difficulté la grande écoutille et, dans une cabine où un homme triste boit du cognac, elle remonte la couture de son pantalon, gagne son pull-over, se glisse jusqu’au coude et, dans un dernier effort, se blottit dans la paume de sa main droite qui juste à cet instant saisit un revolver.
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Il faut vous dire que les tortues sont grandes admiratrices de la vitesse et c’est bien naturel.
Les Espérances le savent et s’en fichent.
Les Fameux le savent et se marrent.
Les Cronopes le savent et chaque fois qu’ils rencontrent une tortue, ils sortent leur boîte de craies de couleur et, sur le tableau rond de son dos, ils dessinent une hirondelle.
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Instructions pour pleurer
Laissons de côté les motifs pour ne considérer que la manière correcte de pleurer , étant entendu qu’il s’agit de pleurs qui ne tournent pas au scandale ni n’insultent le sourire de leur parallèle et maladroite ressemblance. Les pleurs moyens ou ordinaires consistent en une contraction générale du visage, en un son spasmodique accompagné de larmes et de morves, celles-ci apparaissant vers la fin puisque les pleurs s’achèvent au moment où l’on se mouche énergiquement.
Pour pleurer, tournez-vous vers vous-même votre imagination et si cela vous est impossible pour avoir pris l’habitude de croire au monde extérieur, pensez à un canard couvert de fourmis ou à ces golfes du détroit de Magellan où n’entre personne, jamais.
Les pleurs apparus, on se couvrira par bienséance le visage en se servant de ses deux mains, la paume tournée vers l’intérieur. Les enfants pleureront le bras replié sur le visage de préférence dans un coin de leur chambre. Durée moyenne des pleurs, trois minutes.
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MANUEL D’INSTRUCTIONS
Ce travail de ramollir la brique chaque jour, ce travail de se frayer passage dans la masse gluante qui se proclame monde, tous les matins se heurter au parallélépipède au nom répugnant avec la satisfaction minable que tout est bien à sa place, la même femme à ses côtés, les mêmes souliers, le même goût du même dentifrice, la même tristesse des maisons d’en face, l’échiquier sali des fenêtres avec son enseigne HÔTEL DE BELGIQUE.

Comme un taureau rétif pousser de la tête contre la masse transparente au cœur de laquelle nous prenons notre café au lait et ouvrons notre journal pour savoir ce qui se passe au quatre coins de la brique de verre. Refuser que l’acte délicat de tourner un bouton de porte, cet acte par lequel tout pourrait être transformé, soit accompli avec la froide efficacité d’un geste quotidien. À tout à l’heure, chérie, bonne journée.

Serrer une petite cuillère entre deux doigts et sentir son battement de métal, son éveil inquiet. Comme cela fait mal de renier une petite cuillère, de renier une porte, de renier tout ce que l’habitude lèche pour lui donner la souplesse désirée. C’est tellement plus commode d’accepter la facile sollicitude de la cuillère, de l’utiliser pour tourner son café.

Et ce n’est pas si mal au fond que les choses nous retrouvent tous les jours et soient les mêmes. Qu’il y ait la même femme à nos côtés, le même réveil, et que le roman sur la table se remette en marche sur la bicyclette de nos lunettes. Pourquoi serait-ce mal ? Mais comme un taureau triste il faut baisser la tête, du centre de la brique de verre pousser vers le dehors, vers tout le reste si près de nous, insaisissable, comme le picador si près du taureau. Se punir les yeux en regardant cette chose qui passe dans le ciel et accepte sournoisement son nom de nuage, son modèle catalogué dans la mémoire. Ne crois pas que le téléphone va te donner les numéros que tu cherches. Pourquoi te les donnerait-il ? Il n’arrivera que ce que tu as déjà préparé et résolu, le triste reflet de ton espérance, ce singe qui se gratte sur une table et tremble de froid. Écrabouille le ce singe, fonce contre le mur et ouvre une brèche. Oh, comme on chante à l’étage au-dessus ! Il y a un étage au-dessus où vivent des gens qui ignorent leur étage en dessous, et nous sommes tous dans la brique de verre. Mais si soudain une mite se pose au bout de mon crayon et bat comme un feu sous la cendre, regarde-la, moi je la regarde, je palpe son cœur minuscule et je l’entends, cette mite résonne dans la pâte de verre congelé, tout n’est pas perdu. Quand j’ouvrirai la porte, quand je sortirai sur le palier, je saurai qu’en bas commence la rue, non pas le modèle accepté d’avance, non pas les maisons déjà connues, non pas l’hôtel d’en face : la rue, forêt vivante où chaque instant peut me tomber dessus comme une fleur de magnolia, où les visages vont naître de l’instant où je les regarde, lorsque j’avancerai d’un pas, lorsque je me cognerai des coudes, des cils et des ongles à la pâte de verre de la brique et que pas à pas je risquerai ma vie pour aller acheter le journal au kiosque du coin.
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Les Pose-tigres.
Bien avant de mettre notre projet à exécution, nous savions que la pose des tigres suscitait un double problème sentimental et moral. Le premier concernait plutôt le tigre lui-même que sa pose, dans la mesure où ces félins n'apprécient guère le fait d'être posés et rassemblent toute leur énergie, qui est énorme, pour y résister.
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De la conduite à adopter dans les veillées funèbres
On n'y va pas pour l'anisette ni parce qu'il faut y aller. Vous l'avez deviné : on y va parce qu'on ne peut plus supporter les formes les plus sournoises de l'hypocrisie.
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                 Manuel d’instructions



      Instructions pour remonter une montre

      Là-bas au fond il y a la mort, mais n’ayez pas
peur. Tenez la montre d’une main, prenez le
remontoir entre deux doigts, tournez-le dou-
cement. Alors s’ouvre un nouveau sursis, les
arbres déplient leurs feuilles, les voiliers courent
des régates, le temps comme un éventail s’emplit
de lui-même et il en jaillit l’air, les brises de la terre,
l’ombre d’une femme, le parfum du pain.
      Que voulez-vous de plus ? Attachez-la vite à
votre poignet, laissez-la battre en liberté, imitez-
la avec ardeur. La peur rouille l’ancre, toute chose
qui eût pu s’accomplir et fut oubliée ronge les
veines de la montre, gangrène le sang glacé de
ses rubis. Et là-bas dans le fond, il y a la mort si
nous ne courons pas et n’arrivons avant et ne
comprenons pas que cela n’a plus d’importance.

p.30
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Instruction-exemples sur la façon d’avoir peur
En un certain village d’Ecosse, on vend des livres avec une page blanche glissée au milieu des autres. Si un lecteur débouche sur cette page quand sonnent trois heures, il meurt.
Sur la place du Quirinal à Rome, il y a un point que connaissaient les initiés jusqu’au XIXe siècle et d’où, les jours de pleine lune, on voit bouger lentement les statues les Dioscures luttant avec leurs chevaux cabrés.
A Amalfi, au bout de la côte, il y a une jetée qui s’avance dans la mer et dans la nuit. On y entend aboyer un chien bien au-delà du dernier réverbère.
[…]
On connaît le cas d’un voyageur de commerce qui un jour se mit à souffrir du poignet gauche, juste sous son bracelet-montre. Quand il enlevé sa montre, le sang se mit à perler : on voyait la trace de dents très fines.
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Ce travail de ramollir la brique chaque jour, ce travail de se frayer passage dans la masse gluante qui se proclame monde, tous les matins se heurter au parallélépipède au nom répugnant avec la satisfaction minable que tout est bien à sa place, la même femme à ses côtés, les mêmes souliers, le même goût du même dentifrice, la même tristesse des maisons d’en face, l’échiquier sali des fenêtres avec son enseigne HÔTEL DE BELGIQUE.

Comme un taureau rétif pousser de la tête contre la masse transparente au cœur de laquelle nous prenons notre café au lait et ouvrons notre journal pour savoir ce qui se passe au quatre coins de la brique de verre. Refuser que l’acte délicat de tourner un bouton de porte, cet acte par lequel tout pourrait être transformé, soit accompli avec la froide efficacité d’un geste quotidien. À tout à l’heure, chérie, bonne journée.

Serrer une petite cuillère entre deux doigts et sentir son battement de métal, son éveil inquiet. Comme cela fait mal de renier une petite cuillère, de renier une porte, de renier tout ce que l’habitude lèche pour lui donner la souplesse désirée. C’est tellement plus commode d’accepter la facile sollicitude de la cuillère, de l’utiliser pour tourner son café.

Et ce n’est pas si mal au fond que les choses nous retrouvent tous les jours et soient les mêmes. Qu’il y ait la même femme à nos côtés, le même réveil, et que le roman sur la table se remette en marche sur la bicyclette de nos lunettes. Pourquoi serait-ce mal ? Mais comme un taureau triste il faut baisser la tête, du centre de la brique de verre pousser vers le dehors, vers tout le reste si près de nous, insaisissable, comme le picador si près du taureau. Se punir les yeux en regardant cette chose qui passe dans le ciel et accepte sournoisement son nom de nuage, son modèle catalogué dans la mémoire. Ne crois pas que le téléphone va te donner les numéros que tu cherches. Pourquoi te les donnerait-il ? Il n’arrivera que ce que tu as déjà préparé et résolu, le triste reflet de ton espérance, ce singe qui se gratte sur une table et tremble de froid. Écrabouille le ce singe, fonce contre le mur et ouvre une brèche. Oh, comme on chante à l’étage au-dessus ! Il y a un étage au-dessus où vivent des gens qui ignorent leur étage en dessous, et nous sommes tous dans la brique de verre. Mais si soudain une mite se pose au bout de mon crayon et bat comme un feu sous la cendre, regarde-la, moi je la regarde, je palpe son cœur minuscule et je l’entends, cette mite résonne dans la pâte de verre congelé, tout n’est pas perdu. Quand j’ouvrirai la porte, quand je sortirai sur le palier, je saurai qu’en bas commence la rue, non pas le modèle accepté d’avance, non pas les maisons déjà connues, non pas l’hôtel d’en face : la rue, forêt vivante où chaque instant peut me tomber dessus comme une fleur de magnolia, où les visages vont naître de l’instant où je les regarde, lorsque j’avancerai d’un pas, lorsque je me cognerai des coudes, des cils et des ongles à la pâte de verre de la brique et que pas à pas je risquerai ma vie pour aller acheter le journal au kiosque du coin.



MANUALE DI ISTRUZIONI
Il lavoro di ammorbidire il mattone tutti i giorni, il lavoro di aprirsi un passaggio nella massa appiccicosa che si proclama mondo, ogni mattina inciampare nel parallelepipedo dal nome ripugnante, con una canina soddisfazione che tutto è al suo posto, la stessa donna accanto, le stesse scarpe, lo stesso sapore dello stesso dentifricio, la stessa tristezza delle case di fronte, della sporca scacchiera delle persiane con la scritta HOTEL DE BELGIQUE.
Puntare la testa come un toro svogliato contro la massa trasparente al cui centro prendiamo il caffelatte e apriamo il giornale per vedere quel che è successo in un qualsiasi angolo del mattone di cristallo. Rifiutarsi a che il delicato gesto di girare la maniglia, gesto grazie al quale tutto potrebbe trasformarsi, avvenga con la fredda efficacia di un riflesso quotidiano. A presto cara. Buona giornata.

Stringere un cucchiaino fra le dita e sentire il battito del suo polso di metallo, il suo diffidente ammonimento. Come fa male negare un cucchiaino, negare una porta, negare tutto ciò che l’abitudine lecca fino a dargli una soddisfacente levigatezza. Tanto più semplice accettare la facile sollecitudine del cucchiaio, usarlo per girare il caffè.
E non che sia brutto che le cose ci trovino ogni giorno di nuovo e sempre le stesse. Che accanto a noi ci sia la stessa donna, lo stesso orologio, e che il romanzo aperto sul tavolo inforchi di nuovo la bicicletta dei nostri occhiali, perchè dovrebbe essere brutto? Ma come un toro triste bisogna abbassare la testa, dal centro del mattone di cristallo spingere verso il fuori, verso l’altro tanto vicino a noi, inafferabile come il picador tanto vicino al toro. Castigarsi gli occhi guardando quella cosa che si muove nel cielo e che sornionamente accetta il nome di nuvola, la sua risposta catalogata nella memoria. Non credere che il telefono ti dia i numeri che cerchi. Perchè dovrebbe? Verrà soltanto quel che hai preparato e deciso, il triste riflesso della tua speranza, questa scimmia che si gratta su una tavola e trema di freddo. Spaccale la testa, alla scimmia, corri dal centro verso il muro e apriti un passaggio. Oh, come cantano al piano di sopra! C’è un piano di sopra in questa casa, con altra gente. C’è un piano di sopra dove vive gente che non sospetta del suo piano di sotto, e stiamo tutti nel mattone di cristallo. E se all’improvviso una tarma si ferma sul bordo di una matita e palpita come un fuoco, guardala, io la sto guardando, sto palpando il suo piccolissimo cuore, e la sento, questa tarma risuona nella pasta di cristallo congelato, non tutto è perduto. Non appena aprirò la porta e mi affaccerò alle scale, saprò che sotto inizia la strada; non lo stampo ormai accettato, non le case che sappiamo, non l’albergo di fronte: la strada, la viva foresta ove ogni istante può piovermi addosso come una magnolia, ove i volti nasceranno man mano che li guarderò, quando andrò avanti ancora un poco, quando con i gomiti e le palpebre e le unghie andrò a fracassarmi minuziosamente contro la pasta del mattone di cristallo, e mi giocherò la vita avanzando un passo dopo l’altro per andare a comperare il giornale all’angolo.
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