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Critique de BenoitMX


La 4ème de couverture annonçait un « chamboulement cynico-festif de toutes les valeurs », ce qui me faisait craindre quelque chose d'assez creux et vide en définitive – comme c'est souvent le lot de ce genre de promesse…

…Bien m'a pris de passer outre mes craintes : les trois trentenaires qu'il s'agit de suivre dans leurs « aventures » sont au contraire des jeunes gens très consistants, qui refusent tant le modèle « Trente Glorieuses » de leurs parents, que le contre-modèle « Soixante-huitard » de leurs aînés. Ni yuppie ni hippie, ni conservateurs ni révolutionnaires, ils cherchent quelque chose d'autre. Ils acceptent des jobs alimentaires merdiques parce qu'il faut bien vivre, mais refusent de jouer davantage « le jeu » – celui de la consommation. Ils contestent ainsi à leur façon mais sans engagement politique, sans émeute (hormis peut-être les pulsions destructrices de Dag) et surtout sans réel espoir de changement… S'ils ne sont pas à l'aise dans leur vie, c'est que celle-ci ne se met pas facilement en roman : ils n'écrivent pas les pages glorieuses de la reconstruction d'après-guerre comme leurs parents, ils ne vivent pas dans le récit trépidant de l'agitation soixante-huitarde comme leurs aînés… Mais que vivent-ils, alors ? Ou plutôt, que peuvent-ils vivre ? Quel serait le roman de leur vie ?

La question reste en suspens, d'où leur difficulté à s'investir, dans un travail notamment… D'où leur errance, leur mal-être… Ils sont néanmoins touchants dans leur tentative de se construire des identités alternatives (fût-ce sous la forme d'histoires qu'ils se racontent à la façon des Alcooliques Anonymes), dans cette recherche de récits qui ne soient ni pathétique ni vaniteux – à une époque qui est vue précisément comme celle de la fin des Grands Récits, après la chute du mur de Berlin... Ils sont aussi touchants par la tendresse qui les lie, malgré leur difficulté à exprimer leurs sentiments ou leur relative désillusion quant à l'amour… Ils sont touchants, encore, par leur authenticité dans un monde où, autour d'eux, chacun joue un rôle, maquille ses sentiments, se donne une fausse assurance. Ils sont touchants enfin par leur recherche poétique, par leur constance à inventer des moments magiques (ainsi le festival de bougies qu'Andy concocte autour du sapin de Noël pour son frère et ses parents).

Juste avant de lire ce roman, j'avais lu La tache, de Philip Roth – grand roman qui raconte comment la vie d'un homme, dans les années 90 et les Etats-Unis de Bill Clinton, est ravagée par les soubresauts de l'Histoire. A propos de ce roman (et des deux autres de la « trilogie américaine » de Roth), j'avais détourné cette analyse de Kundera, dans L'art du roman (p21 puis 24/25) : « Les premiers romans européens sont des voyages à travers le monde, qui paraît illimité. le début de Jacques le fataliste surprend les deux héros au milieu du chemin ; on ne sait ni d'où ils viennent, ni où ils vont. (…) Un demi-siècle après Diderot, le temps De Balzac ne connaît plus l'oisiveté heureuse (…) de Diderot. Il est embarqué dans le train qu'on appelle l'Histoire. (…) ce train n'a encore rien d'effrayant, il a même du charme ; à tous ses passagers il promet des aventures, et avec elles le bâton de maréchal. [Mais bientôt] l'Histoire ou ce qui en est resté, force suprahumaine d'une société omnipuissante, s'empare de l'homme. Elle ne lui promet plus le bâton de maréchal (…) Dans les romans de Kafka, de Hasek, de Musil, de Broch, (…) l'Histoire ne ressemble plus au train des aventuriers ; elle est impersonnelle, ingouvernable, incalculable, inintelligible – et personne ne lui échappe. »

Cette Histoire « impersonnelle, ingouvernable, incalculable, inintelligible » qui dévorait les personnages de Roth, le narrateur de Génération X justifierait certainement qu'elle le laisse sauf du fait de son appartenance à la classe moyenne : « tu vois, quand tu es classe moyenne, il faut s'habituer à ce que l'histoire t'ignore. Il faut vivre avec le fait que l'histoire ne se fera jamais le champion de tes causes et qu'elle ne se sentira jamais désolée pour toi. C'est le prix à payer pour le confort et le silence quotidiens. Et à cause de ce prix, tous les bonheurs sont stériles ; et tes malheurs n'attirent pas la pitié. » (p212, version poche 10/18).

Mais peut-être ce même narrateur admettrait-il aussi une certaine parenté avec les premiers romans européens ? Son errance bavarde avec ses deux amis n'est pas sans faire penser à celle de Jacques et de son maître, même si ses discussions sont autrement plus angoissées… Et sa quête a quelque chose de donquichottesque, même si l'Idéal n'y est pas et si aux étendues de la Manche se substituent les déserts du Nouveau Monde. Alors, que voir dans cette parenté ? La possibilité d'une liberté retrouvée – fut elle payée un prix fort ? Un retour aux sources quand il s'agit, précisément, de chercher pour sa vie un nouveau roman ?
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