« le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. » On croirait entendre Albert Lebrun inaugurant l'Exposition coloniale le 4 mai 1937. Pourtant, c'est un Président autrement contemporain qui parle,
Nicolas Sarkozy en personne, le 26 juillet 2007, devant les « jeunes d'Afrique » venus l'écouter à l'Université
Cheikh Anta Diop de Dakar.
Georges Courade et l'équipe pluridisciplinaire réunie à ses côtés pour battre en brèche les idées reçues qui font florès au sujet de l'Afrique n'auraient rêvé meilleur argument de vente pour leur ouvrage. Tant il est vrai que le discours sur « l' » Afrique – l'usage du singulier occultant au passage la réalité d'un continent pluriel – charrie son lot d'idées reçues. La moindre qualité de ce dense ouvrage collectif est d'en rassembler une cinquantaine et de les dénoncer.
La lecture de ces notices, agrémentées chacune par une abondante bibliographie, est plaisante. L'ouvrage peut se lire comme un dictionnaire et autorise ceux que certains sujets seulement intéresseraient à y butiner à loisir. le revers de la médaille est le traitement formel identique, à la limite de la monotonie, de chaque contribution. Plafonnées à 18.000 caractères, elles sont parfois trop brèves et laissent le lecteur sur sa faim.
Le fil directeur, exposé par G. Courade dans son introduction est de donner à connaître une Afrique qui vit « difficilement mais courageusement » (p. 23), loin des stéréotypes qui suffisent souvent à la décrire.
Georges Courade ne le cache pas : l'afro-pessimisme le fait sortir de ses gonds, surtout dans sa veine « négrologique ». Il récuse l'image d'une Afrique prisonnière de ses vieux démons culturels et réfractaire au développement. Cela donne lieu à la réfutation fort réussie de quelques idées reçues sur les mécanismes de développement (« L'accumulation est impossible parce que la redistribution est sans limite »), le rôle du groupe (« le contrôle social est si fort qu'il décourage les initiatives »), la place des femmes (« Les Africaines sont soumises ») .
Pour autant, il prend garde de verser dans la vision opposée qui impute à la colonisation et à la mondialisation les malheurs africains. Les idées reçues que véhiculent les tenants de la victimisation de l'Afrique sont elles aussi réfutées qu'il s'agisse de l'esclavage (« La traite négrière est le seul fait des Européens » de Sylvain Guyot), de l'artificialité des frontières (« Les frontières africaines sont pénalisantes » de Karine Bennafla) ou des dysfonctionnements de l'Etat (« L'Etat ne fonctionne pas parce qu'il est une copie de l'Etat occidental » de Jean-François Médard).
Tout animés qu'ils sont par le désir de promouvoir « l'Afrique qui réussit » (p. 22),
Georges Courade et son équipe – à laquelle les mauvais esprits ont reproché qu'elle a été recrutée au Cameroun, négligeant les efforts déployés pour développer, autant que possible, une approche continentale – se heurte souvent aux dures réalités. Certaines idées afro-pessimistes ont tou compte fait la vie dure. Dans l'article qu'ils consacrent à la polygamie – où l'on apprend avec beaucoup d'intérêt sa déconnexion de l'Islam –
Georges Courade et Christine Tichit arrivent à la conclusion que cette pratique ne régresse pas. Un article de Michel Simeu Kamdem intitulé « Il n'y a pas d'entrepreneurs en Afrique » insiste plus sur les difficultés d'émergence d'une classe d'hommes d'affaires que sur sa constitution progressive. Il en est de même de l'article de
Georges Courade sur l'industrialisation du continent africain.
Hélas, cet ouvrage hésite entre deux objectifs qu'il n'atteint pas. le premier aurait été de brosser un vaste tableau de l'Afrique contemporaine à partir de la réfutation des principales idées reçues qui sont véhiculées à son sujet. Malheureusement, que le projet ait été trop ambitieux ou que
Georges Courade n'ait pas réussi à s'entourer de contributeurs plus incisifs, cet ouvrage de 400 pages seulement, aussi denses soient-elles, n'atteint pas cet objectif. le second, qui correspond sans doute plus au désir du maître d'oeuvre, était de nous livrer une réflexion sur les « idées reçues », leur généalogie, leur audience, leur postérité. Point n'aurait été besoin de développer exhaustivement chacune d'elles dans un ouvrage collectif nécessairement inégal, mais plutôt de les convoquer à tour de rôle à l'appui d'une étude, dont l'introduction de
Georges Courade pose les prémices, mais qui reste encore à écrire.