Céline Curiol est cultivée et intelligente et son intelligence nourrit son roman. Cinq à six personnages en quête de destin pendant quatre journées d'une même année, 2015, au cours desquelles leur vie s'oriente. L'objectif est clair : offrir une oeuvre chorale, française qui saisit, dans une forme d'instantané, les problèmes du temps : des réfugiés désemparés, une planète saccagée, des médias abaissés, le terrorisme comme seule issue au désarroi de certains enfants perdus des banlieues. Et à côté des problèmes de la société, il y a les destins individuels : les secrets de famille, le désir inaccompli d'enfant de l'une, l'ambition professionnelle de l'autre qui se heurte à son confort amoureux, l'intégration jamais totalement accomplie d'un troisième qui toujours sera un africain déraciné, épris de poésie, le quatrième qui voudrait que sa fille jamais ne grandisse, qui inconsciemment vit de la nostalgie du temps révolu, des intensités à jamais dissoutes, l'absence de révoltes collectives qui conduit au néant celle qui jadis aurait combattu dans des groupuscules protestataires. Bref,
Céline Curiol trace un portrait désabusé et exact d'une époque où ne règnent pas
de grandes ambitions (pour reprendre le titre d'un roman d'
Antoine Rault publié au même moment et qui lui remonte dans le temps aux années 80). Une époque de constats navrés et d'individualisme précautionneux. Une époque qui, somme toute, est bien peu réjouissante. Et cela, malheureusement, mâtine le propos.
Céline Curiol dédie son livre à
Paul Auster et a voulu, comme lui, offrir au lecteur une lourde brique de 800 pages. Sans doute est-ce là la faille car le propos du livre a fini par contaminer son écriture. Si le style est parfaitement maîtrisé, la narration, ses longueurs et ses digressions, n'emporte pas le lecteur. Respectueux de l'auteur, il chemine avec elle jusqu'au bout, mais est soulagé d'enfin arriver à la dernière page.