1888. Depuis plus de 10 ans,
Rimbaud a disparu du monde littéraire, disparu du monde connu, et sa légende est en marche. Dans un café de Paris, des poètes se retrouvent, un jeune homme lit ses vers, un rien réticent, et la tablée se divise. Publier, s'abstenir ? Ils ne sont pas anodins, ces vers, ils sont rien de moins qu'un pastiche, qu'on présentera comme du
Rimbaud inédit, pour faire parler de soi, pour faire parler de lui, pour provoquer, pour faire du bruit. Et bientôt, le groupe des décadents lève son verre, trinque au scandale.
L'intention n'était pas mauvaise, mais il n'est tout de même pas très fier de lui, Adrien, l'auteur des vers en question. Il l'est encore moins lorsque
Verlaine entre en scène et s'insurge, lorsque tout Paris commence à le regarder comme un faussaire. A force de remâcher son spleen, son obsession pour le poète envolé, le voilà qui s'envole à son tour. de toute façon, le Décadent ne peut pas vivre de faux éternellement, il faut publier du vrai
Rimbaud et pour cela... il faut remettre la main sur
Rimbaud en personne. de Charleville au Harar, commence un long voyage où l'absent que l'on quête n'est peut-être, au fond, que soi-même.
C'est une superbe BD que
Christophe Dabitch (au scénario) et
Benjamin Flao (au dessin) ont concocté là, à partir d'éléments historiques bien réels. La revue le Décadent, dont
Verlaine fit d'abord partie avant de prendre ses distances, a bel et bien publié les poèmes dont il est ici question, et une bonne partie des personnages mis en scène, notamment le truculent Baju, ont eux aussi existé. Mais si l'histoire rend un bel hommage au sujet dont elle se nourrit, elle sait ne pas en rester trop étroitement tributaire et vole bientôt de ses propres ailes, à la suite du personnage d'Adrien. Un beau personnage, un peu pathétique, toujours touchant, sorte de frère spirituel malheureux de
Rimbaud, empêtré dans l'admiration excessive qu'il lui voue, tiraillé par l'absolu mais incapable de se définir par lui-même et flirtant dangereusement avec la folie.
Le grand point fort de l'affaite reste toutefois le dessin - magnifique, aussi habile à croquer le réalisme d'une scène de café que la démesure hallucinée d'un songe, l'énergie d'une bagarre, la
poésie d'une atmosphère, la mélancolie noire ou l'humour grinçant. Un dessin qui sait être diablement efficace dans l'action, mais aussi parler droit au coeur et à l'âme.
Un très bel hommage à la
poésie et aux poètes - les grands, les reconnus, les méconnus et les autres -, que je recommande vivement !
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