Syrie, le martyre d'une révolution

Résister et combiner les luttes contre l'autocratie, l'exploitation et les oppressions

« La guerre civile syrienne a évolué au fil des ans vers une guerre impliquant de multiples acteurs locaux, régionaux et internationaux. La grande majorité des observateurs, politiques et universitaires ont analysé la conflagration syrienne à travers des visions uniquement géopolitiques ou en termes confessionnels, assimilant les communautés religieuses à des positions politiques et, dans les deux points de vue, ignorant les dynamiques politiques et socio-économiques à l'origine du soulèvement populaire. »

Dans son introduction, publiée avec l'aimable autorisation des Editions Syllepse, Joseph Daher indique « Ce livre présente les origines et les développements du soulèvement syrien qui a commencé en mars 2011 dans le cadre des soulèvements populaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MOAN) ».

Le livre est structuré en sept chapitres où sont abordés, entre autres, les processus de développement inégaux et combinés, les caractéristiques de l'Etat autoritaire, les conséquences socio-économiques des politiques néolibérales, la nature et les dynamiques des acteurs et actrices du mouvement pendant les premières années du soulèvement, « La situation de quasi double pouvoir, ou du moins une alternative potentielle au régime syrien, créée par la profondeur du processus révolutionnaire et la mise en place et l'expansion de conseils locaux gérant les affaires au niveau local, est étudiée », l'escalade progressive de la violence et de la répression par les forces du régime, le processus graduel de marginalisation des réseaux de l'Armée syrienne libre (ASL)…

L'auteur poursuit avec la mobilisation de la base populaire du régime pour soutenir la répression, « En garantissant et fournissant des services publics et des emplois, le régime de Damas a également engendré une forme de dépendance de la part de larges pans de la population, en particulier dans le contexte de la guerre croissante et de la crise socio-économique aiguë », l'échec de l'opposition en exil à constituer « une alternative crédible, démocratique et inclusive », le développement ultérieur des mouvements fondamentalistes islamiques et djihadistes lié à l'affaiblissement et à la division des réseaux de l'ASL et des groupes et des militant·es civils et démocratiques, l'intervention d'États régionaux prétendant soutenir le soulèvement et l'aggravation des divisions au sein des groupes d'opposition politiques et armés…

Il aborde ensuite l'implication de la population kurde et des groupes politiques kurdes dans le soulèvement, le rejet des revendications nationales kurdes par l'« opposition arabe syrienne » en exil, l'internationalisation du soulèvement syrien, les interventions – directes ou indirectes – de divers acteurs internationaux et régionaux, l'implication massive de trois forces (Russie, Iran, Hezbollah), les effets de la création d'« un soi-disant califat par l'État islamique (ÉI) », des conséquences humaines et socio-économiques de la guerre, de la concentration des centres de pouvoirs et des nouveaux réseaux pro-régime…

Quelques éléments choisis subjectivement.

Contre les visions campistes (Leila Al-Shami : L'anti-impérialisme des imbéciles, lanti-imperialisme-des-imbeciles/), les lectures mono-causales et réductrices, le refus de prendre en compte les pluralités nationales, les contradictions et leurs évolutions, la violence du régime et des groupes salafistes armés ou des intégristes religieux, Joseph Daher nous propose une lecture de la complexité, sans cacher les responsabilités (même si elles sont asymétriques) des uns et des autres.

Je souligne notamment les analyses sur le régime patrimonial, les politiques néolibérales et leurs effets socio-politiques, le refus de reconnaître le caractère plurinational et pluri-religieux du pays…

L'auteur analyse dans le détail le mouvement de protestation populaire, les mouvements politiques et leurs orientations, les pratiques des comités de coordination, la participation des femmes, les effets de la violence étatique et de la militarisation, la place des composantes conservatrices islamiques, les limites puis l'échec de l'opposition démocratique en exil…

Joseph Daher revient sur la longue histoire de la question nationale kurde et sur l'actualité des résistances des populations kurdes et le négationnisme de bien des pans de l'opposition à la dictature syrienne.

Répression et interventions extérieures. Aides de la Russie et de l'Iran et du Hezbollah à la dictature. Interventions des puissances régionales (Turquie, Qatar, Arabie saoudite). Militarisation, islamisation, confessionnalisation. Sans oublier les expérimentations et les pratiques qui seront comme des leçons pour l'invasion poutinienne de l'Ukraine…

« Dans ce livre, j'ai essayé de délimiter et d'analyser les origines, les caractéristiques et l'évolution du soulèvement syrien en relation avec les développement économiques et politiques de la société syrienne et de l'arène régionale et internationale ». En conclusion, Joseph Daher revient, entre autres, sur la consolidation d'un régime despotique et patrimonial, l'absence « d'une alternative sous la forme d'une opposition crédible en exil », la montée des mouvements fondamentalistes islamiques et djihadistes, les clivages sociaux et leurs évolutions, l'aide massive de l'Iran et de la Russie au régime, la question kurde et sa négation, les dynamiques régionales et internationales, les deux forces contre-révolutionnaires (le régime d'Assad et les organisations fondamentalistes islamiques et djihadistes). Il dessine quelques conclusions pour le futur.

« En conclusion, si la survie du régime a été quelque peu assurée, principalement grâce au soutien de ses alliés étrangers, le maintien d'une forme d'hégémonie passive sur de larges segments de la population ne l'est pas, ce qui nourrit une situation d'instabilité permanente, et qui perdurera ».

Il faut tirer des leçons du soulèvement et de sa défaite, des impasses socio-politiques – et en particulier sur le droit des femmes et la question nationale kurde –, du manque de soutien internationaliste aux révolté·es. Ce livre contribue à construire nos compréhensions. Une lecture donc plus que recommandable.
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