MACBETH ÉMEUTIER
Il faudrait trop d'appuis pour soulever les vagues
Il faudrait capturer la lune pour en faire un levier
Il faudrait délivrer la chaîne des planètes -
On ne renverse pas la mer par un coup d'état !
L'armure simple de la mer avec ses mailles d'eau
L'étroite cuirasse grise où elle s'épouse elle-même
Qu'aucune lame ne pourra dissocier d'aucun corps
Tant le corps de la mer fait corps avec ses lames,
Demeure le rempart le plus sûr des féodalités.
Démence de croire pouvoir mettre à raison la mer !
Démence de prétendre l'enrégimenter dans l'émeute !
D'émeute contre soi l'éternelle émeutière,
Pour qui le soulèvement est une seconde nature,
Est d'autant moins capable qu'elle en est coutumière.
S'ameuter pour la vague c'est à l'exemple d'une meute
Courant échine contre échine sous des fanes vertes
Pendant des milliers et milliers d'hectares d'heures.
Mais quel est le gain à la seconde où le soleil tombe,
Baignant comme un chevreuil flasque dans son sang
Dont on maintient les pattes pour les lier deux à deux,
De quel souffle d'animal esoufflé la mer la sueur ?
De quel pouls s'amplifiant sous les côtes l'amplitude ?
Tant d'images ensemble se pressent dans sa course
Qu'une réplique d'elle-même se dédouble forêt
Plus fluctuante que l'autre au for de ses lisières
Spectre d'arbre debout avec son tronc rigide
Couché à plat, fuyant selon le sens de l'horizon
Ambiguïté des roses
Sonnet 35
2ème version
Cesse de te tourmenter pour l'acte que tu commis ;
Aux roses sont les épines, aux sources qui brillent la boue ;
Éclipses comme nuages noircissent lune et soleil,
Cancer le détestable hante bourgeons les plus doux.
Tous les hommes font des fautes, moi-même y compris,
Qui vais ouvrant ton crime à la comparaison,
Qui pardonne tes péchés plus haut que n'est leur prix ;
Et me corromps moi-même d'excuser ton manquement :
Car j'accorde du sens à la faute de tes sens ;
J'engage contre moi-même un procès en due forme :
La partie poursuivante devient ton avocat,
C'est une vraie guerre civile entre l'amour la haine
Au point que le complice du voleur de moi-même
Qui m'a soustrait à moi ne peut être que moi.
Petite anthologie privée d’Autolycus
Extrait 2
C'est une fleur catholique, c'est à dire moins hautaine que la rose,
Jamais quintessentiellement rouge, qui arrondit la tête les joues,
Contenant une plénitude de rires qu'elle ne laisse pas éclater.
On n'attend pas de la rose qu'elle soit drôle. De la pivoine, si.
Je l'achèterai contre billet bleu pastel montrant Quentin Latour.
Pour éponger ses tiges, l'encre d'imprimerie d'un quotidien local
Prêtera ses références patriotiques étroites jusqu'à la dérision.
Elle, aisément les dépassant, affirmera le sang qui afflue à la vie,
Qui monte aux pommettes ou coule aux cuisses des femmes,
Avec droiture simple et plus de discrétion qu'il n'est dit ici.
Proche par choix, cueilli au même marché avec un second Latour
Non moins monétairement faible mais plus juste encore de pastel,
Le lupin lui fera escorte. Quasiment obscène par sa raideur,
Quoique l'argile ou les tempêtes de Mai lui donnent de l'inflexion,
C'est nervure trop sûre d’elle-même que ses fleurs humanisent
Ou plutôt, vous me comprendrez, qu'elles anthologisent en fleur.
Petite anthologie privée d’Autolycus
Extrait 3
On cueille le ciel avec le lupin, les autres proviennent de la terre,
Dont ils ou elles tirent leur couleur, lui va aux sources de la pluie.
Il y a bu, il y boit, il y boira jusqu'à ce qu'il ait absorbé son eau.
Son violet invisible qui se transforme en rose léger au couchant.
L'aquarelle est l'art du lupin mais aucun jeu avec le blanc Canson
Ne rendra l'émouvante densité poivrée de ses grappes et hampes.
Ailleurs, là où la circularité de la communauté humaine se distend,
Faisant hypocritement place à la société des plantes industrielles,
Commence le massacre. Les fleurs, alors, deviennent un prétexte,
L'océan des huiles qu'on voit moutonner dans une plaine de colza
Tiendrait dans quelques saladiers. Rétraction, le quantitatif.
La fleur nous aide à affiner nos gestes aussi bien qu'à les élargir.
L'amplitude qui ramène par apparence d'égoïsme le parfum à soi.
Prélude à l'intimité du don. La fleur est distance juste du vivre.
Ambiguïté des roses
Sonnet 35
1ère version
Cesse donc de te faire grief des fautes par toi commises :
Les roses ont des épines, la boue corrode les fontaines,
L'éclipse ennuagée macule sans différence la lune ou le soleil,
La feuille la plus juteuse de sève sert d'asile au cancrelat.
Nous faisons tous des fautes, moi-même le premier
Qui à l'instant offre comparaison à tes crimes
Et par souci de les blanchir m'ouvre du même coup à l'accusation
D'abuser d'hyperbole quant à leur degré de gravité ;
Car si tu as péché c'est par les sens auxquels j'apporte sens
(Ton adversaire, regarde, je le retourne ton avocat !)
Plaidant ce faisant, légalement contre mon cas.
J'ai tant de guerre civile en moi entre l'amour la haine
Que je ne puis pas fatalement ne pas me retrouver complice
Du si doux voleur qui me vole amèrement à moi-même.
Avec Rim Battal, Vanille Bouyagui, Jacques Darras, Guillaume Decourt, Chloé Delaume, Arthur H, Paloma Hermina Hidalgo, Abellatif Laâbi, Christophe Manon, Virginie Poitrasson, Jean Portante, Omar Youssef Souleimane, Milène Tournier…
Accompagnés par Lola Malique (violoncelle) et Pierre Demange (percussions)
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2024 rassemble 116 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique de la grâce. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie francophone de notre époque.
Pour en donner un aperçu ce soir, douze poètes en lecture, accompagnés de musique.
À lire – Ces instants de grâce dans l'éternité, Anthologie de poésie réunie et présentée par Jean-Yves Reuzeau, Castor Astral, 2024.
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