Bien sûr, il y avait eu « Truismes », savoureuse fable, comme une entrée fracassante en bonne littérature, mais ensuite, pendant d'assez longues années, un tantinet de déception face à une oeuvre pourtant généreuse et honorable, avant le très beau « Être ici est une splendeur » il y a trois ans, avant surtout ce « La Mer à l'envers », conjuguant fantaisie et gravité dans un récit émouvant, résonnant en permanence, de la Méditerranée à Calais, des échos de notre quotidien (votre serviteur peut en témoigner qui, lisant le passage du sauvetage des migrants auquel assiste Rose, entendait en même temps à la radio les atermoiements de l'Europe face à l'accueil de nouveaux rescapés), mettant en scène avec habileté et humour la leçon que l'exil de l'autre nous apporte. Au début du roman, Rose - une psychologue parisienne qui voit sa vie s'effriter, hésitant entre un divorce de son mari alcoolique et un déménagement qui sauverait leur couple – participe à une croisière en Méditerranée avec ses deux enfants, Gabriel et Emma. Et
Marie Darrieussecq de prendre un vrai plaisir à peindre, à travers le regard de sa protagoniste, un tableau satirique de cet univers des croisières et des multiples ridicules des situations ou des personnages qui s'y croisent… Mais bientôt, le navire s'arrête, et Rose, bien malgré elle, se retrouve témoin puis actrice du sauvetage de migrants en péril de naufrage. Parmi eux, elle rencontre Younès, un jeune nigérien, à qui elle donne de l'eau, la parka de son fils, et finalement le téléphone de ce dernier, geste un peu inconsidéré, qui modifiera radicalement le cours de son existence. Fin de la croisière, déménagement difficile, installation déprimante dans une bourgade du pays basque, pourtant sa région natale, la vie de Rose plonge dans le gris. Elle s'efforce de ne pas répondre aux appels fréquents d'un Younès, qu'après tout, elle n'a pas vraiment eu le temps de connaître, envers qui elle ne se sent pas redevable, même si…. Mais, un jour, un appel de Calais la bouleverse, et, la voici, bravant les réticences de son mari, partie pour un second sauvetage du jeune homme. La suite montrera que l'on ne sait pas très bien qui aura sauvé qui dans cette histoire. Car la « mer à l'envers » du titre, c'est peut-être celle qu'aura franchie Rose, rescapée de son naufrage intime, sauveteuse secourue de son désastre familial par l'installation de Younès dans sa vie, les soins qu'elle donnera aux chevilles abîmées du garçon révélant à ses mains leur pouvoir magique, aussi utile à sa paix intérieure qu'à sa prospérité professionnelle… Et le lecteur, même très cartésien, un peu sceptique face à ces pouvoirs surnaturels, oui, oui, finit par accepter, emporté par la petite musique espiègle des mots de
Marie Darrieusecq, cette idée que la plus difficile des mers à traverser, c'est moins cette Méditerranée hostile des migrants africains que celle, immense, de notre méfiance et de nos préjugés. Une bien belle et malicieuse parabole, un très agréable moment de lecture !