Tu vois, petite Louise, ma mère ne se trompait pas. Elle parlait de joie tragique de l'enfance. Elle disait fils, tu dois rester "en perpétuel changement, éclater les écorces qui t'empêcheront, faire peau neuve à chaque printemps, deviens sans cesse plus jeune, plus futur, plus élevé, plus fort".
La voiture lançait des appels de phares qui ressemblaient à des insultes.
Tous les cœurs ne dansent pas les mêmes querelles.
Faut pas rêver. Ici, les gens se la jouent perso. Ils gueulent, mais ils ne veulent pas d'emmerdes. Juste garder leur confort. Leurs petits avantages. On n'est plus en 1789. On n'est plus un peuple. On est soixante-cinq millions de peuples.
Depuis toutes petites on nous a bassinées avec l'idée que la meilleure rime à amour, c'était toujours. C'est une immense connerie. La vraie rime d'amour, c'est chaque jour.
Tu seras un petit garçon un peu lointain et solitaire, avait dit Louise. Tu auras des difficultés à te faire des amis. Mais tu seras doué pour le langage. Tu seras plus intelligent que les autres. Plus rapide. Parfois, tu ne reconnaîtras pas un visage, ou les expressions d’un visage. Tu ne sauras pas toujours si on te gronde ou si on plaisante. Tu auras du mal à comprendre le sens figuré des choses. Si par exemple tu entends l’expression donner sa langue au chat, tu croiras qu’il faut donner sa langue au chat et tu te demanderas comment faire. Tu ne sauras pas mentir et parfois, à cause de cela, tu pourras blesser les gens. Même moi. Même papa. Certains jours, tu auras trop de bruits dans ton crâne. Trop d’odeurs. Et tu paniqueras. Mais je serai toujours là. Je te réconforterai. Tu croiras parfois que les gens sont dans ta tête. Qu’ils savent ce que tu sais, mais ce n’est pas vrai. Tu es un petit garçon unique. Et rare. Et précieux. Et tu pourras être heureux comme n’importe qui. Grandir. Faire ce que tu aimes. Rencontrer quelqu’un qui aime ce que tu aimes et qui prendra soin de toi. Tu ne seras jamais seul, Geoffroy. Tu es fait autrement, mais tu es aussi le monde.
C'est Allah qui est ta patrie. Et Allah qui est juste et sage ne veut pas te voir montrer tes jambes nues dans la rue, pas voir ton nombril quand tu marches, pas entendre les sifflets des almujrimin dans ton dos. Tu dois honorer tes frères.
Elle aimait être son ami. Etre son amoureuse. Elle resterait avec lui toute sa vie. Et même si elle n'avait que quinze ans, elle savait déjà que l'amour n'était pas une question d'âge. Mais de coeur. De sang. De peur. Et son sang fouettait plus vite avec lui. et elle avait peur sans lui. Le garçon vivait dans un monde où elle voulait vivre.
La différence fait peur, Djamila. Elle donne le sentiment aux autres d'être privés de quelque chose et au lieu de s'en nourrir, ils préfèrent la détruire. On cogne mon fils. On assomme un homosexuel. On tabasse un noir. Un arabe. On frappe tout ce qui risquerait de révéler qu'on n'est pas si extraordinaire que ça. La peur de l'autre, c'est la peur d'être soi-même médiocre.
je crois qu'il existe aussi une vérité poétique. Et elle me fait peur, car elle se situe dans le cœur, pas dans le cerveau, qui est un ordinateur. Si cette vérité est possible, alors on devrait tous se mélanger. On gommerait ainsi le blanc, le noir, le rouge, le jaune et il n'y aurait plus qu'une seule couleur. Celle de l'être humain On ne peut pas être raciste envers soi-même. C'est exactement ça la poésie. C'est tout ce qui peut changer le monde en beauté...