AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,75

sur 117 notes
5
13 avis
4
4 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Une vingtaine d'années après la fin de la guerre, Charlotte Delbo raconte ce qu'a été sa vie depuis son retour de Birkenau et Ravensbrück. Elle donne aussi la parole à ses compagnons de déportation, des femmes en majorité.

Chacune a eu son parcours. Certaines se sont mariées, ont eu des enfants. D'autres ont travaillé.
L'une d'elles dont le mari gagne bien sa vie, ne sort presque plus de chez elle, même en été, pour ne plus jamais avoir froid.
Une autre, après un mariage désastreux qu'elle pensait ne pas mériter après Auschwitz, a quitté la France pour Porto-Rico.
Marie-Louise, elle, semble mener une vie heureuse, dans une maison confortable. Mais quand Charlotte lui rend visite, elle constate que le mari de Marie-Louise connaît tout de ce que sa femme a vécu et qu'il peut même lui souffler les noms ou les détails sur lesquels sa mémoire bute.
Françoise vit « en somnambule » depuis qu'elle a fait ses adieux à son mari, avant qu'il ne soit fusillé au Mont Valérien, avant qu'elle ne soit déportée. Ce qui est également l'histoire de Charlotte Delbo.
Il y a Ida, juive, arrêtée à l'âge de quatorze ans, qui n'a retrouvé ni son père ni sa mère à son retour, et qui fait de temps en temps des crises d'angoisse qui ne préviennent pas et l'obligent à faire des cures de repos.
Marceline, elle aussi, fait chaque année ce qu'elle appelle « son anniversaire de typhus » : fièvre qui l'empêche de sortir de chez elle.

Il y a l'histoire incroyable de Loulou : à son retour, il avait dix-neuf ans, il n'y avait plus personne. L'appartement familial était occupé, et plus rien ne subsistait. Il s'est rapidement retrouvé à la rue. Il a alors été hospitalisé en service psychiatrique, où il a été soigné avec attention. Si bien que guéri, et n'étant attendu par personne, il a obtenu l'autorisation d'y rester. Il a fallu vingt ans à ses anciens compagnons de camp pour le retrouver dans cet hôpital...

Il y a celles qui ont des cauchemars souvent, celle qui a perdu le sommeil à force de ne pas vouloir dormir pour ne plus faire de cauchemars, celle dont la mémoire lui refuse les souvenirs du camp.

Mais toutes parlent de ce dédoublement constant dans lequel elles vivent. En apparence, menant des existences « normales », mais hantées au fond. Ayant perdu le sens de la joie, la capacité à être heureuses. Avec le sentiment d'avancer dans une dimension que personne ne peut concevoir. Personne sauf celles qui ont connu Birkenau ou Ravensbruck.

« En répondant à la question de Jeanne, je mesurais tout ce qui me faisait proche d'elle et des autres camarades. Seule l'une d'elles pouvait se permettre une question aussi directe, seule obtenir que j'y réponde tout droit, sans trouver indiscrète la question (...)
C'est sans doute ce qu'elles veulent dire, mes camarades, quand elles disent qu'elles se trouvent bien entre elles. Entre nous, il n'y a pas d'effort à faire, il n'y a pas de contrainte, pas même celle de la politesse usuelle. Entre nous, nous sommes nous. »

Voilà : quand on a lu ce livre-là, on sait qu'aucune fiction sur le sujet n'est possible.

Les seules personnes qui pourraient parler des camps, de la déportation, de la Shoah, sont celles qui en sont revenues. Mais nos mots n'y suffisent pas. Dans ce livre, Charlotte Delbo et ses compagnes tentent de dire ce qui reste de leur existence, à leur retour. Elles cherchent les mots, les phrases, elles reviennent avec insistance sur ce qu'elles ressentent, mais elles constatent que rien ne peut exprimer ce qui n'a pas de mesure connue. Ce qui fait qu'elles ne redeviennent elles-mêmes qu'entre elles, celles qui ont survécu. La compréhension, elle est là, chacune sait de quoi la mémoire de l'autre est faite, il n'y a qu'elles qui savent et partagent, dans leurs corps, sur leur peau, dans leurs yeux, la blessure indescriptible de chaque souvenir.


Commenter  J’apprécie          368
« Je suis revenu d'entre les morts
et j'ai cru
que cela me donnait le droit
de parler aux autres
et quand je me suis retrouvée en face d'eux
je n'ai rien eu à leur dire
parce que
j'avais appris
là-bas
qu'on ne peut parler aux autres. »

« Je ne sais pas
Si vous pouvez faire encore
Quelque chose de moi
Si vous avez le courage d'essayer… »

Et voilà…je vais essayer Charlotte, une bien modeste contribution pour faire connaître une oeuvre que l'on aurait aimé ne jamais connaître.
Il y aura, dans mes nombreuses lectures, un avant et un après Charlotte Delbo, un avant et un après « Auschwitz et après » ; il y aura enfin, veuillez m'excuser pour cet étrange galimatias, la confirmation que l'écrit, quelle que soit sa forme (Delbo a également choisi le théâtre et la poésie pour s'exprimer), restera le vecteur le mieux adapté pour témoigner d'une expérience intérieure profonde et personnelle.

L'oeuvre est déclinée en trois partie et, sans dévaloriser les deux premières qui sont difficilement supportables, mais soulignent malgré tout que le pire peut aussi donner naissance à de magnifiques amitiés, à une solidarité époustouflante, à de vrais élans d'amour sans équivoque, ma préférence s'oriente pour la dernière intitulée « Mesure de nos jours », celle plus fictive ou la recherche d'un avenir se fera plurielle, hypothétique et douloureuse.

« Rentrer
c'était déjà demander l'impossible
c'était tout demander
oserait-on demander davantage ? »

Delbo fait parler des déportés – femmes et hommes, véritables ou fictionnels (Marie-Louise, Ida, Gaby, Poupette, Germaine, Denise, Françoise, Marcelline, Loulou, Jacques…), pour décrire des ressentis différents. Cette palette de témoignages, d'une banalité assourdissante et tellement commune possède un point commun, vous l'aurez sombrement deviné, mais possède surtout une humanité exceptionnelle dans la certitude que les « autres », ceux qui n'ont pas vécu l'atrocité, ceux qui n'en sont pas revenus ne pourront jamais comprendre, comprendre non pas ce qui est arrivé mais ce que l'horreur indicible a pu irrémédiablement casser au fonds de ces revenants.

La vie continue ? Oui et non. Oui car elle est plus forte que tout. Non pour de multiples raisons, pour ne pas oublier. Et comment, d'ailleurs, pourrait-on oublier ? Quand le présent nous démontre que tout peut recommencer…

« Quand la révolution viendra
je tirerais mon cerveau
de sa boîte crânienne
et je le secouerai sur la ville
et il en neigera
une neige de poussière
de sale poussière
couleur du temps présent
qui ternira l'écarlate des drapeaux

Et si elle tarde trop
je n'aurai même plus la force d'en faire tant. »
Commenter  J’apprécie          154
Comment re-vivre au retour des camps? Comment retrouver une vie « normale «  après avoir subi tant d'horreurs, après avoir vu la mort, la torture au quotidien et pendant plusieurs années pour certaines ? Et d'en être revenue alors que tant d'autres sont mortes? Comment expliquer aux autres l'inexplicable ? Des récits de retour à une époque où il n'y avait pas de soutien psychologique.
Commenter  J’apprécie          20
Le retour des camps… Vingt ans après. Autour de Charlotte Delbo, ses compagnons et compagnes, comment s'en sont-ils sortis ? Comment s'est passé leur retour à la vie normale ? Récits passionnants et émouvants.

Il y a celui qui, peu après sa libération, arrive à la gare de sa petite ville, sans force, maigre, mais croyant retrouver ses parents. Il découvre qu'ils sont morts dans un bombardement. Et qui, en plus ne retrouve pas ses copains de résistance parce que ceux-ci sont persuadés que c'est lui qui a trahi… (les choses s'arrangent par la suite)
Il y a celle qui a tout le temps froid et qui ne sort plus de chez elle.
Il y a celle qui a repris le travail 6 mois après parce qu'il faut bien gagner sa croûte et celle de sa mère. Mais qui regrette d'avoir autant forcé, il lui aurait fallu deux ans pour se remettre. Elle le paye d'une mauvaise santé.
Il y a celle qui a littéralement fusionné avec son mari et qui est comme une enfant. le mari sait tout de son vécu et il en parle mieux qu'elle...

Et puis, il y a leur camaraderie, à toute épreuve. Elles se soutiennent. Il n'y a d'ailleurs qu'entre elles qu'elles se sentent entières et vraies.

Commenter  J’apprécie          41
Barbelés des mots

Charlotte Delbo (1913-1985) fut l'assistante de Louis Jouvet avant-guerre. Résistante avec son mari durant l'Occupation, ils furent arrêtés tous deux. Lui fusillé, elle déportée pour Auschwitz-Birkenau. Comment dire cela ? par quelle langue noire faire l'énoncé d'une telle atrocité ? Comme si c'était aussi simple, comme si ce fait était égal aux autres – alors que rien jamais ne pourra justifier de telles horreurs.
Vers la fin de la guerre, elle fut changée de camp. Sa nouvelle destination, à peine moins sinistre que la précédente : Ravensbrück.

À la libération du camp, elle reprendra son activité théâtrale aux côtés de Louis Jouvet. Des 230 femmes parties avec elle dans le convoi de Compiègne pour Auschwitz, seules 49 d'entre elles reviendront ; seules ces quelques femmes auront pu passer – mais à quel prix ! –, entre les griffes du massacre sans nom. Et pour quel retour ? Pour quelle vie ? Y a-t-il seulement une vie possible après ce là-bas, après cet enfer terrestre ?
Ce n'est qu'au tout début des années 70 que Charlotte Delbo décidera de faire publier son amère trilogie déchirante : Auschwitz et après.

D'un tel témoignage on ne ressort pas. Car lire de tout son être, c'est entrer nu dans la chair vivante du silence. Mais ici, dans la plaie de cet ouvrage, le silence est un squelette décharné qui claque au vent : drapeau de chair déchirée. On entre dans ce livre comme dans la peau morte d'un serpent – avec pour seul habit, la squame rayée des déportées. On pénètre dans le froid terrible des appels qui durent toute la nuit pour ces fantômes de femmes qui ne savent plus ce que c'est que le jour, qui n'ont que la lumière crue et maladive des lampes électriques pour tout soleil ; on sent la diarrhée qui colle aux jambes amaigries, desséchées de leur pulpe vitale ; on éprouve la soif tenace, l'absence de salive qui vous fait la bouche comme un gros ballon de colle ; on perçoit l'immonde cacophonie de hurlements rauques, de voix hystériques. Oui, “la mort est un maître venu d'Allemagne” ainsi que l'écrivait Paul Celan dans son Todesfuge, sa Fugue de mort.

Que celui qui ne craint pas d'être bouleversé – ébranlé au plus profond de lui-même – ; que celui-là seul ose donc s'aventurer dans cette oeuvre. Si des lambeaux de son coeur restent accrochés dans les barbelés des mots, c'est que sa lecture n'aura pas été vaine.

Comme le disait le Christ à la Bienheureuse Angèle de Foligno dans ses visions extatiques : « Ce n'est pas pour rire que je t'ai aimée !... »
Et ce n'est pas non plus pour rire que Charlotte Delbo a témoigné.
Puisque notre société est devenue celle du “rire” sur commande – qui est d'ailleurs tout sauf le rire franc et sincère de la joie –, que chaque ricaneur insipide se le tienne pour dit et passe son chemin !

En p. 69 de l'ouvrage, ce poème bouleversant :

"Ce poète qui nous avait promis des roses
Il y aurait des roses
sur notre chemin
quand nous reviendrions
avait-il dit.
Des roses
le chemin était âpre et sec
quand nous sommes revenus
Le poète aurait menti ?
Non
Les poètes voient au-delà des choses
et celui-ci avait double-vue
si de roses
il n'y a pas eu
c'est que nous ne sommes pas revenus
et de plus
pourquoi des roses
nous n'avions pas tant d'exigence
c'est de l'amour qu'il nous aurait fallu
si nous étions revenus."

© Thibault Marconnet
18/04/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
Commenter  J’apprécie          60
Des mots durs et pourtant sans haine . A lire et relire encore pour que la barbarie ne renaisse pas .
Commenter  J’apprécie          10
Charlotte Delbo, dans ce dernier volume de "Auschwitz et après" témoigne pour ses compagnes et compagnons.
C'est en lisant "Mesure de nos jours" que je me rends compte que quelque chose est définitivement mort en eux.
A la place, une faille a pris naissance, une faille que rien ne pourra jamais combler, malgré tous leurs efforts.
En cela, les nazis ont gagné, ils les ont intimement détruits.

Commenter  J’apprécie          180
Le retour des femmes déportées, évoqué avec toute la magnificence de Charlotte Delbo. Une oeuvre incontournable.
Commenter  J’apprécie          00
À facettes, le récit extraordinaire d'une déportation à Auschwitz en 1943-1945, et du retour.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/04/19/note-de-lecture-auschwitz-et-apres-charlotte-delbo/
Commenter  J’apprécie          30
Cet ultime témoignage nous permet de surtout réfléchir « à l'après ». Comment faire lorsque l'on revient à la civilisation, lorsque l'on revient à la vie ?!

Charlotte Delbo prête sa voix à ses camarades pour nous montrer comment chacune s'est retournée, une fois libérée des camps. Comment peut-on même envisager de vivre, après avoir connu l'horreur la plus totale, c'est sous la forme de court témoignage que l'auteure nous livre un bout de réponse.

En prêtant sa voix, elle nous donne différente façon de faire. Nous sommes toutes différentes et notre rapport à la vie comme à la mort est propre à chacune. Ici nous le découvrons plus que jamais. Certaines ont le besoin de tout raconter et de tout connaître. D'autres s'enfuissent dans l'isolement le plus totale. D'autres vivent à travers leurs enfants, leurs travaux. En résumé chacune tentent de se remettre au mieux dans la vie qui lui est propre.

L'important étant de vivre mais comment faire, lorsque l'on a tout perdu, jusqu'à son humanité : comment se réadapter ? Ce qui est intéressant c'est la manière dont Charlotte Delbo traite le sujet. Elle nous montre bien que le monde lui a continué de tourner et personne ne peut imaginer ce qu'il s'est déroulé. Car les femmes dans les camps coupées de tout, commencent à réaliser que la vie à l'extérieur n'a pas été une partie de plaisir non plus. Et les personnes qui n'ont pas connu les camps veulent comprendre et s'interrogent, presque de manière intempestive …. La curiosité est parfois mal placée.

Cet ultime volet apporte donc une merveilleuse conclusion. Charlotte Delbo a réalisé un travail remarquable sur ces trois textes. Elle nous livre des témoignages bouleversant, et à travers elle, c'est les voix de centaines de femmes déportées qui peuvent se lever et crier leur passé ou choisir de se taire à jamais. Car maintenant qu'elles sont libres, elles peuvent choisir d'oublier ou de livrer leur expérience.

Un texte juste et poignant qui laisse à réfléchir par rapport à notre propre rôle face à ces femmes. Car lorsque nous continuons à vivre comme si de rien n'était, il ne faut pas oublier qu'elles étaient nos mères, nos soeurs, nos amies ou encore nos voisines. Il ne faudra jamais oublier leur mémoire, et grâce à ce bouleversant récit, on nous permet d'ouvrir les yeux et l'esprit face à cette réalité.
Lien : https://charlitdeslivres.wor..
Commenter  J’apprécie          101




Lecteurs (367) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1729 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}