Qu'est-ce qui fait qu'un souvenir reste en mémoire? L'auteur s'interroge à juste titre sur cette question, et cite, à juste titre encore, l'extraordinaire nouvelle de
Borgès, Funès ou la mémoire, pour expliquer que la vie et la mémoire s'entrelacent mais ne peuvent ni coïncider, ni être coextensives..
Quand il s'agit d'évoquer ses souvenirs, (ou ses rêves,) l'écrivain doit aussi se demander ce qui fait qu'un souvenir est partageable, ce qui, de l'émotion dont il se compose, est transmissible au lecteur. C'est ce qui fait la différence entre un journal intime, et un ouvrage édité. Il y a aussi le style, et le projet littéraire.Le postulat non écrit, mais nécessaire,de toute tentative littéraire d'écriture de souvenirs ou de fragments de mémoire est: "Est-ce que mes souvenirs vous intéressent?" En ouvrant l'ouvrage de
Nicolas Delesalle, j'ignorais tout de ce journaliste et de son oeuvre littéraire débutante, et je me suis demandé moi-même ce qui allait pouvoir accrocher mon attention, de cet écrit a prori très intime, de la part d'un parfait inconnu. le genre littéraire lui-même me paraissait indécis.
Mémoires? Un grand mot pour une suite de récits courts et sans lien apparent. Souvenirs? Trop peu littéraire pour les thèmes abordés. Roman? Un peu ambitieux pour ces instantanés. Nouvelles? Impossible de relier ce genre littéraire à cette entreprise autobiographique. Alors? N. Delesalle aurait-il inventé un genre nouveau? Pas si l'on se réfère aux écrits minimalistes de P. Delerm. Mais ce dernier joue sur la connivence, tandis que N. Delesalle reste à distance, et ne nous chuchote pas à l'oreille qu'au fond nous partageons le même passé et les mêmes souvenirs. le portrait du grand-père, en ouverture du livre, donne beaucoup de force à l'entreprise et force la curiosité. de même que son aïeul reconstituait avec des morceaux de coton colorés la totalité d'un tableau de maître, Delesalle finit par brosser par petites touches le portrait impressioniste d'une famille qui peu à peu sort du flou pour prendre consistance. Et susciter enfin mon intérêt de lectrice.
Cet hameçonnage réussi, marque qu'il existe bien là matière à littérature, m'autorise cependant à la sévérité. Je récuse donc vigoureusement l'utilité d'émailler ce récit littéraire de bavures d'écriture qui le sont moins. Pour moi, le mot cul, tombant on ne sait pourquoi au milieu d'une phrase très travaillée, est une abdication, ou une prétention.totalement injustifiée à être Céline, ou Rimbaud Au niveau où nous en sommes du calibrage de l'oeuvre passée, présente et future de l'auteur, certains défauts de facture pèsent un peu trop lourd. Je formulerai le même reproche au manque d'unité entre les différents chapitres du livre.
Ceci dit, j'ai lu deux fois
Un parfum d'herbe coupée. Ce qui m'arrive rarement pour un ouvrage récent . Et j'avoue que la deuxième lecture, loin de m'ennuyer, m'a plus séduite que la première. Comme quoi certains parfums sont plus envoûtants qu'il n'y parait , je crois qu'on appelle cela la note de tête, non?
Merci à Babelio et à La
Librairie Générale Française pour cette lecture qu'ils m'ont offerte.