Chacun s’est déchaîné sur la toile, qui incriminant ma petite personne, « frustrée et mal baisée », bonne uniquement à « répandre mon venin » sur les blondes pulpeuses, comme les paparazzis impliqués dans la mort de Diana, qui me défendant au nom de la vérité, de la liberté de la presse et d’un certain racisme anti-blonde, laquelle n’a « que ce qu’elle mérite pour avoir trompé son mâle dominant ». Au milieu de tout cela, les médias ont tempéré l’affaire. Solidarité du métier ? Je ne suis pas tout à fait sûre. Pour beaucoup, nous n’avons de journalistes que l’appellation que nous nous sommes appropriée presque malhonnêtement. Mais qu’importe. Je termine la journée avec la satisfaction du travail accompli et la conscience un peu soulagée. Personne à la sortie pour me lancer des tomates pourries. Je n’ai plus qu’à oublier le mail prémonitoire du fan de ce matin et tout devrait rentrer dans l’ordre.
N’ayant jamais eu affaire à ces bureaux, je ne les avais pour ainsi dire pas remarqués. Et puis, je suis journaliste people, événements et culture. Pas de grandes enquêtes de terrain à couvrir ni de tueur en série dans mon univers. Du coup, me voilà toute petite devant la bâtisse. Elle est… plutôt moderne et pas terrible, à vrai dire. Surtout en comparaison aux bâtiments voisins, des immeubles de rapport au style haussmannien. Sa haute façade marron terne n’est constituée que de fenêtres miroirs, ses portes sont petites et le tout très impersonnel. Seul l’éclairage de la rue qui s’y reflète – la nuit tombe rapidement en ce mois d’octobre frisquet – lui donne un peu de lustre. Mais je ne suis pas objective. Cet endroit est synonyme d’inquiétude et de problèmes pour moi, comment donc lui trouver le moindre charme ?
Le Girls Only a un concept simple et efficace : du fun, de l’amitié et du professionnalisme. Et question ligne éditoriale, c’est encore plus facile : les filles seulement ! Parler de tout ce qui concerne les nanas, donc, de l’adolescente à la femme mûre. De l’actualité brûlante à l’anecdote insolite. De mode comme de santé ou de bricolage. Le tout dans un ton pétillant et déluré, souvent incisif et toujours juste. Ah ! Elles n’ont pas la langue dans leur poche, les girls du magazine. Si bien qu’elles plaisent même aux mecs ! Nous sommes un groupe de dix auteurs, webmasters, graphistes, webdesigners et autres à nous retrouver sept jours sur sept, selon notre convenance, du lundi au dimanche, dans ce petit immeuble du centre de Lille que j’essaie vainement de rejoindre avant que sonnent neuf heures.
Le sourire du bonhomme est difficilement interprétable. Ce Nicolas Bernardin a un petit quelque chose de Swan Laurence, dans Les petits meurtres d’Agatha Christie, en moins grand. Et l’autre, je n’en parle même pas ! J’ai l’impression d’être la coupable et qu’il le sait très bien. Qu’il joue avec moi comme un chat avec sa souris, attendant simplement que je craque sous la pression. Cela dit, ils peuvent toujours courir : je suis innocente, donc je ne vois pas ce qui pourrait me faire craquer. Dans deux jours, ils auront mis la main sur le coupable, certainement le petit ami, et je serai en droit de leur demander de me présenter leurs excuses.
— Dans la police, c’est ce que j’allais dire. On sent que vous avez un sens de l’investigation et une volonté de chercher le sens caché derrière les mots. Mais cela doit surtout être en rapport avec votre boulot. C’est ce que font aussi les…
— Les fouineurs ?
— Je n’allais pas dire cela. Je pensais aux journalistes.
— Mais les journalistes sont des fouineurs, c’est bien connu. Et moi, c’est effectivement ma spécialité. Zia met son nez partout, vous vous souvenez ?