Quand on pense à la Jamaïque, on pense reggae. Et même si j'apprécie beaucoup cette musique, j'apprécie aussi la blague qui demande ce que dit un rasta qui arrête de fumer de la ganja....: "C'est quoi cette musique de merde ?". Après avoir lu le roman de
Nicole Dennis-Benn, je me dis que ce qu'un Jamaicain qui arrête de fumer de l'herbe doit se dire c'est "C'est quoi ce pays de merde ?".
En effet, loin des cartes postales et des plages idylliques, c'est à partager la réalité du quotidien de ses concitoyens que nous convie l'auteure. Tout en soulignant la beauté de certains couchers de soleil, c'est bien l'horreur qu'elle décrit, celle des relations qui peuvent se tisser entre des habitants dont le seul rêve est de s'extirper de la misère où ils vivent. Elle explore particulièrement l'histoire familiale de Dolores, Margot et Thandi, une mère et ses deux filles qui ont appris à se détester et à dépendre les unes des autres. Ce climat de haine est omniprésent dès les premières pages et ne fait que se renforcer tout au long du récit. Alors qu'on pense que la situation est déjà la plus oppressante qui soit, elle ajoute une explication, un pan du passé d'une des protagonistes qui tout en nous permettant de mieux comprendre les relations qui se nouent, ne fait qu'ajouter au poids sur les épaules de chacune.
Les hommes apparaissent comme la source de tous les problèmes de ces femmes, par leurs agressions, leurs fuites lâches (omni-absence des pères, la plupart du temps partis avec l'argent de la famille), leur paresse, leur volonté de domination. Ils semblent attendre tout des femmes sans vouloir participer, sont le plus souvent attablés au café à les regarder passer, au maximum à les transporter en taxi, mais toujours avec les regards lubriques et l'intention de profiter de leurs charmes.
Le fonctionnement pervers qui pousse ces trois femmes à se faire du mal dans l'espoir de parvenir à s'extirper de leur condition, inter-dépendantes et ne pouvant ni se séparer, ni se soutenir correctement est parfaitement décrit. On se retrouve comme invités dans le système puisqu'on ne peut nous-même que les détester à tour de rôle tout en étant conscients de l'impossibilité pour elles d'agir autrement... et pour nous de nous détacher de leur histoire. Plus que dans le style de la phrase, assez simple, c'est dans la construction de la narration que l'auteure installe cette atmosphère qui parvient à garder sa force tout au long du récit.
L'objectif de découverte de cette île bien connue des Antilles est atteinte. A l'image de celle de la République Dominicaine que m'avait offerte récemment
Junot Diaz, elle me permet de dépasser les images de paradis pour touriste et d'atteindre à une certaine vérité. On se doute tous bien sûr des terribles réalités qui se cachent dans l'ombre des parasols, mais il est important qu'elles prennent corps dans ces histoires, pour qu'on ne puisse se laisser illusionner et oublier le quotidien de ces gens qui nous accueillent.