Pour commencer, je remercie très sincèrement les éditions de l'Aube et Babelio, grâce à qui j'ai découvert ce livre dans le cadre d'une masse critique privilégiée. J'avais postulé sans trop savoir à quoi m'attendre, et j'ai été presque surprise de le recevoir… quelques jours à peine avant de partir pour des vacances improvisées en famille ! Si ce départ imprévu a fait grand bien à tout le monde, l'engagement pris pour cette masse critique inattendue en a souffert : j'ai à peine lu durant ces presque deux semaines en Béarn (une bien belle région… ;) ), si bien que je ne me suis attaquée que très tard à ce livre-cadeau tellement prometteur, pourtant. Pour combler le tout, peu après notre retour en Belgique, j'ai à nouveau suspendu toute lecture et/ou commentaire de livre, pour une nouvelle raison imprévue : l'hospitalisation de ma maman, âgée de 83 ans, à la suite d'une chute dans les escaliers chez elle…
Tout va bien maintenant, merci, mais entre-temps, les jours de retard dans la rédaction de mon commentaire n'ont cessé de s'allonger. J'en suis sincèrement désolée, d'autant plus que la seule conclusion qu'on puisse donner est : il faut lire ce livre !
En effet, je disais que je ne savais pas trop à quoi m'attendre en postulant pour ce livre, qui reste pour l'instant encore peu mentionné (voire pas du tout) sur les réseaux, qui s'animent pourtant depuis quelques jours autour de la rentrée littéraire – rentrée dont ce livre, pas encore sorti à ce jour, fera partie très prochainement. Cependant, j'ai lu ici ou là (et certainement sur Babelio) les avis des quelques autres chanceux qui l'ont reçu également. Ce ne sont que des avis positifs, il faut le souligner, qui relèvent pour la plupart les grandes thématiques assez « classiques » qui traversent ce roman : l'immigration illégale, ce fameux « rêve américain », mais aussi le racisme, la violence des hommes, l'homosexualité féminine… et ces avis, à ma grande surprise maintenant que j'ai terminé ce livre, semblent ne mentionner ce roman qu'à travers le prisme desdites thématiques.
Alors, bien sûr, il serait absurde de prétendre que ces thèmes ne seraient pas présents ; au contraire, ils sont même omniprésents, mais contrairement à ce que certains de mes co-commentateurs pourraient laisser penser, ils ne prennent jamais la place d'un avant-plan. En réalité, l'autrice donnerait presque l'impression d'aborder ces thèmes (tellement « à la mode », pourtant !) presque par accident, mais jamais pour eux-mêmes. Ils apparaissent d'une façon extrêmement subtile, comme en filigrane de toute autre chose : l'histoire d'une femme, tout simplement, à la recherche d'elle-même. Alors oui : on est bel et bien dans le contexte particulier du « rêve américain », désenchanté certes, mais c'est l'histoire de cette femme plus que tout qui est centrale, et qui remue de bout en bout.
De plus, c'est une femme comme vous et moi, même pas exceptionnelle, même pas parfaite, même pas géniale (du tout), mais
Nicole Dennis-Benn nous raconte son histoire avec un formidable talent de conteuse qui prend aux tripes.
Et donc, c'est aussi une femme terriblement jamaïcaine : notre Patsy est issue d'un quartier pauvre de Kingston, la capitale. Elle avait rêvé de pouvoir étudier pour s'en sortir, comme d'autres, refusant obstinément les voies illégales (dont le trafic de drogue) tellement faciles qui règnent dans ledit quartier, tandis que dans un coin de sa tête traîne l'envie de rejoindre « un jour » son ex-meilleure amie, et aussi ex-petite amie (ce qu'on comprend sans que ce soit jamais dit de manière directe) Cicely, partie vivre aux États-Unis, dont elle reçoit des lettres régulières lui laissant croire qu'elle y est attendue.
Mais deux événements vont l'empêcher de réaliser quoi que ce soit, du moins dans un premier temps : la plongée de sa mère dans un certain fanatisme religieux encouragé par son église locale, à qui elle consacre désormais tout son temps, son argent (pour le peu qu'elle en a) et toute son énergie, obligeant la trop jeune Patsy, encore enfant, à tout gérer chez elle pour simplement survivre ; puis une grossesse inattendue et non souhaitée, mais qui sera bien évidemment menée à terme jusqu'à la naissance de la petite Trudy-Ann, appelée Tru par tous, enfant précoce que la trop jeune Patsy, alors à peine sortie de l'adolescence, ne parvient pas à aimer…
Ainsi, quand de façon inespérée, Patsy obtient un visa touristique pour les États-Unis, c'est l'occasion de tout planter là (y compris Tru) pour enfin vivre sa vie – car Patsy n'a pas la moindre intention de rentrer en Jamaïque à l'expiration de son visa, et advienne que pourra !
Bien évidemment, on l'a compris, son « rêve américain » va très vite tourner à une espèce de cauchemar, car Cicely – alors son seul et unique contact en Amérique, et la personne en qui elle a placé tous ses espoirs de sa vraie vie qu'elle peut enfin s'autoriser à vivre – a choisi son propre rêve américain, dans lequel Patsy n'a pas la moindre place… Et ainsi, de déboire en désillusion, de belles ou mauvaises rencontres en bouts d'espoir, Patsy se construit néanmoins sa propre vie dont elle est enfin actrice pleinement assumée, même si ça n'a plus grand-chose à voir avec un rêve.
Ainsi, tout au long du livre, l'autrice propose l'évolution de Patsy durant une dizaine d'années à partir de son départ pour les États-Unis, dans une alternance déséquilibrée de chapitres : je n'ai pas compté, mais on est de l'ordre de 3-4 chapitres consacrés à Patsy, à sa vie américaine, mais aussi à de nombreuses digressions sur ce qu'elle a vécu avant, en autant de flashes back plus ou moins reliés à sa nouvelle vie, pour un seul chapitre centré sur Tru (avant de repartir sur Patsy, et ainsi de suite), désormais enfant abandonnée. Patsy avait eu le réflexe de confier sa fille au père de celle-ci, un homme marié, policier intègre et déjà père de 3 garçons, qui connaît à peine cette fille qu'il n'avait pas davantage désiré, d'autant plus qu'elle lui rappelle au jour le jour son ex-maîtresse qu'il n'a jamais réellement cessé d'aimer.
Plus on avance dans le roman, et plus l'histoire de Tru prend de l'ampleur, jusqu'à arriver à un équilibre beaucoup plus naturel d'un chapitre pour Patsy, suivi d'un chapitre pour sa fille devenue ado plutôt rebelle et pas toujours bien dans sa peau, mais entêtée et bien décidée à se battre à son niveau pour ses rêves à elle. C'est là aussi que le roman prend quelques facilités, qui seraient presque décevantes au vu de l'ensemble : on regretterait presque que l'autrice surjoue l'homosexualité de mère en fille (était-ce vraiment nécessaire ?), et un happy end qui, sans gâcher les choses, n'est pas tout à fait crédible… ou alors, aurait mérité un développement un peu plus long ! Après tout, on approche des 600 pages : quelques pages de plus n'auraient pas été excessives, et auraient donné plus de relief à ce final qui, tel quel, a un petit côté bisounours qui ne cadre pas tout à fait avec l'ensemble, mais qui n'en est pas moins réjouissant, bien sûr !
Quoi qu'il en soit, c'est sans doute cette alternance de points de vue, et son déséquilibre mesuré, qui exprime le mieux à quel point l'autrice est douée pour nous raconter une histoire tout simplement humaine, sans jamais porter de jugement, mais touchant à nos sentiments, à notre ressenti de façon tout aussi fine, quel que soit le personnage : jamais elle ne juge Patsy comme une mauvaise mère - c'est pourtant ce qu'elle est, d'une certaine façon ! seriez-vous capable, vous, d'abandonner votre enfant pour aller vivre votre rêve, seule ?... – mais nous entraîne dans les méandres de la liberté retrouvée de la jeune femme, encore et toujours mêlée d'une culpabilité que rien ne semble pouvoir effacer malgré le temps qui passe. Et de la même façon, elle nous attache à la vie bousculée de la petite, puis jeune ado Tru, qui ne comprend pas cet abandon mais apprend à vivre avec, maladroitement aimée par ce père qui ne sait comment l'apprivoiser et une belle-mère improvisée en mal de fille mais éternellement jalouse de celle qui fut « l'autre femme ».
C'est un imbroglio parfaitement maîtrisé de sentiments humains, magnifiquement exploités, sans jamais prendre de parti tranché… et qui en plus sont réellement universels. En effet, comme je le soulignais plus haut, l'autrice place son intrigue dans le contexte particulier de l'immigration (illégale) jamaïcaine aux États-Unis, mais il est indéniable que l'on pourrait trouver des situations similaires n'importe où sur le globe, en plus ou moins dramatique sur certains aspects, mais toujours avec cette justesse dans l'exploration de l'âme humaine dans ce qu'elle a de plus fragile, dans son besoin de liberté individuelle, dans ses relations à la famille quelle qu'elles oit, ou d'accomplissement personnel envers et contre tout.