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Benoîte Dauvergne (Traducteur)
EAN : 9782815946797
566 pages
Éditions de l’Aube (08/09/2022)
4/5   41 notes
Résumé :
Patsy est une jeune femme jamaïcaine, coincée entre une mère obsédée par la religion et une petite fille qu'elle ne sait pas tout à fait comment aimer. Son obsession est de quitter l'île pour l'Amérique, terre de libertés, et aussi - surtout ? - le pays où s'est exilée Cicely. La meilleure amie d'enfance, mais aussi l'amour secret, l'objet de tous les désirs. Cicely et Amérique se confondent dans l'esprit souvent torturé de Patsy, qui finit par obtenir un visa et tr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
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Un grand roman fleuve que je n'aurais probablement pas lu sans la proposition de Babelio dans le cadre de la masse critique privilégiée. Merci aux Editions de l'Aube de m'avoir envoyé ce livre et à Babelio de m'avoir offert l'opportunité de sa lecture.

C'est un roman de vie, de vies féminines, de vies tourmentées, d'héroïnes qui recherchent un bonheur inaccessible tant les freins sociétaux, les embûches et les douleurs de l'existence vont contrarier leur quête souvent incertaine.

La grande héroïne, c'est Patsy qui, à peine 25 années vécues sur sa terre natale de Jamaïque, veut la quitter pour les Etats-Unis pour y vivre son improbable rêve américain et y retrouver son amie d'enfance dont elle est restée amoureuse, Cicely.

La deuxième héroïne, c'est Tru, la fille de Patsy, âgée de seulement six ans lorsque sa mère l'abandonne pour son départ vers l'Amérique. Au fil du roman, qui s'étend sur une dizaine d'années, le lecteur peut suivre toutes les difficultés de Patsy à New-York, l'effondrement de ses rêves, mais aussi, parallèlement la croissance et l'évolution de Tru, accablée par l'abandon de sa mère.

Nicole Dennis-Benn trace une aventure humaine presque ordinaire, lui conférant une dimension psychologique intense, en explorant tous les tourments de ses deux personnages majeurs, détaillant leurs quotidiens, leurs souffrances, leurs joies, leurs attentes insatisfaites.

Pour Patsy, elle parvient à la rendre attachante dans ses errements, ses remords, son incapacité à faire marche arrière, allant toujours vers un avant incertain qui la détruit plus qu'il ne la porte vers le bonheur. Même si elle pense sans cesse à sa fille durant ces dix années, elle a l'impression de ne plus pouvoir faire un pas vers elle et se trouve enfermée dans un malheur qu'elle s'est forgé. Elle fait diverses rencontres en Amérique qui vont l'émouvoir, des plus malsaines aux plus généreuses et donc, les longueurs apparentes de ce roman travaillent parfaitement le chemin de Patsy, l'évolution de sa vie, de sa réflexion personnelle et le choc de cette maternité avec celui d'un amour perdu et d'un autre qui peut-être lui offrira la possibilité de sortir de ses dilemmes.

Pour Tru, c'est encore plus compliqué et, là encore, Nicole Dennis-Benn produit une héroïne éclatante, une enfant déjà battante qui deviendra une adolescente victorieuse, tout en traversant les affres de l'abandon, mais découvrant peu à peu la capacité qui est la sienne à devenir maîtresse de son destin.

Les autres personnages ne sont pas des satellites mais jouent un rôle déterminant dans la vie de Patsy et de Tru, qu'il s'agisse du père ou de la grand-mère de celle-ci, de ses camarades d'école, de quartier, de lycée et, pour Patsy, de tous ceux qui cheminent à ses côtés dans ce long rêve américain.

C'est aussi un roman où le racisme, celui de la couleur de peau, des différences sociétales, des orientations sexuelles est abordé par Nicole Dennis-Benn avec lucidité, certainement une grande connaissance de la société jamaïcaine dont elle est originaire et de la vie à Brooklyn où elle habite.

Donc, un beau roman où "Si le soleil se dérobe" bien souvent pour ses protagonistes, il peut quand même briller et leur apporter à tous les lueurs de l'espérance.
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Dans ce second roman dont on doit la fidèle traduction à Benoîte Dauvergne, l'autrice jamaïcaine Nicole Dennis-Benn reprend ses thèmes favoris, à savoir l'homosexualité tabou, la prostitution et les mariages blancs ainsi que le quotidien des femmes qui élèvent seules leurs enfants et la violence des hommes. Son héroïne, Patsy, qui fantasme sur « l'American dream », finit par sauter le pas et tout quitter, laissant au père de sa fillette la charge de True. Elle se détourne aussi de sa mère, confite en religion. Elle tend vers un seul but : rejoindre son amie et ancienne amoureuse, Cicely, installée dans le quartier de Brooklyn à New-York.
Hélas ! La jeune femme va se cogner à une rude réalité. Entrée sur le sol américain avec un visa touristique, elle va être confrontée à la précarité et l'exploitation des sans -papiers. Elle ne trouvera que des travaux sous-payés où elle sera humiliée. Au final, elle aura abandonné sa fille pour s'occuper des enfants des autres, ces riches américaines qui se déchargent de leurs responsabilités maternelles sur le dos des nounous étrangères.
Le statut d'immigré clandestin rend les relations difficiles, la survie précaire et la violence se cache partout. Heureusement, Patsy croisera quelques personnes bienveillantes, comme Fiona ou Claudette.
Malgré l'absence de lettres, hormis une carte de voeux, True espère toujours des nouvelles de sa mère. Elle a du mal à s'intégrer à son nouveau foyer où les injonctions sont : « T'es plus une petite fi, Tu es en âge d'apprendre à être une fanm » Différente des filles de son âge, elle s'isole. Passionnée par le football, elle n'a que des copains garçons et s'habille comme eux. Elle essaie tant bien que mal de grandir sans sa mère et sans personne à qui raconter ses premiers émois sentimentaux.


Le lecteur suit en alternance l'histoire de Patsy à New-York et celle de sa fille True restée en Jamaïque. A travers leur histoire, l'auteure dénonce les conditions de vie des femmes jamaïcaines et des immigrés jamaïcains ainsi que l'homophobie.
J'ai apprécié les dialogues en langue locale très colorée où les hommes se nomment « bougs » et les femmes « fanms ».
L'écriture, très simple et très dialoguée, va à l'essentiel.
Si l'on peut éprouver de l'empathie pour Patsy et True, d'autres personnages sont trop caricaturaux pour être attachants.
J'ai trouvé qu'il y avait des longueurs dans le déroulement de l'histoire jusqu'à ce que tout s'accélère dans les derniers chapitres, comme si, arrivée à 500 pages, l'autrice voulait en finir avec ses héroïnes. Et la fin bâclée et en forme de happy-end ne m'a absolument pas convaincue.
Donc avis très mitigé pour cette lecture.
Je remercie les éditions L'aube et Babelio pour la découverte de ce roman


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"Si le soleil se dérobe", c'est 570 pages bien remplies et captivantes. C'est un livre dont je n'ai en fait rien à reprocher, tellement chaque aspect est finement travaillé, que ce soit au niveau des personnages et du déroulement des événements, ou encore des lieux/décors et du contexte socio-économique.

Patsy, qui vient enfin de réussir à obtenir son visa, laisse tout derrière elle pour rejoindre son amie d'enfance à New York. Elle abandonne sa fillette, sa mère, son boulot, toute sa vie en Jamaïque. Elle part réaliser son rêve américain. Mais avec les difficultés d'intégration et d'adaptation, s'ajoutent désillusions et déceptions. La vie de sans-papiers qu'elle va mener est loin de celle qu'elle rêvait. C'est un long processus semés d'obstacles et de limites que cette ville, symbole de la liberté, va lui offrir.

Comme dit plus haut, nous avons là un roman archi complet. le contexte, aussi bien en Jamaïque qu'en Amérique, est sacrément bien dépeint. Il n'est pas difficile non plus d'imaginer les lieux, très bien décrits également et bien intégrés au déroulement des événements. L'histoire, quant à elle, est toujours bien menée, et prenante. Les chapitres, de plus en plus courts sur la fin, accélèrent la cadence, je me suis surprise à lire de plus en plus vite.

Les personnages en imposent. L'autrice ne lésine pas sur leur aspect psychologique, leur personnalité et leurs ressentiments. Je n'ai pas pu m'attacher à Patsy, mais à sa petite fille oui. J'ai d'ailleurs particulièrement apprécié qu'elle nous permette de suivre Tru, en parallèle de sa mère, qu'elle nous permette de voir comment elle évolue, grandit, se construit, s'affirme sans elle.

Quant à la fin, elle nous laisse sur une note d'espérance...

Nicole Dennis-Benn use d'une plume bien construite, élaborée, fluide et très plaisante. Je l'ai trouvée un peu détachée de ses personnages, mais ils sont si bien aboutis que je n'en ai pas du tout été gênée. On ressent, aussi, tout le travail effectué pour mener à bien ce roman, tant il est approfondi.

Lu dans le cadre de la masse critique privilégiée, je remercie Babelio et les éditions de l'Aube pour ce roman qui a su me séduire tant par le style d'écriture et de narration que par son contenu saisissant, enrichissant et approfondi.
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Je remercie la Masse critique privilégiée ainsi que les éditions de l'aube pour la sélection et l'envoi du livre de Nicole Dennis-Benn, "Si le soleil se dérobe". Sans cela, je n'aurais pas eu l'occasion de faire la découverte de cette autrice, tout comme de la culture caribéenne et plus précisément jamaïcaine.

"Si le soleil se dérobe" est la chronique d'une jeune femme, Patsy, d'origine jamaïcaine et sans-papiers en Amérique où elle est allée tenter l'aventure et rejoindre son amour de jeunesse, Cicely. C'est aussi la confrontation de la réalité et de la dureté de la vie face au rêve américain, tant notre héroïne est confrontée à des désillusions à répétition. Son point d'ancrage en Amérique,son amie Cicely, se révèle être bien différente de celle qu'elle a connue autrefois et elle lui a caché bien des choses.

C'est encore le récit d'un parcours semé d'embuches pour une jeune femme tellement éprise de liberté qu'elle en vient à sacrifier l'éducation et l'amour qu'elle doit procurer sa propre fille, Trudy-Ann, en l'abandonnant pour satisfaire ses rêves et désirs personnels et qui se confronte au choc des cultures et des codes.

C'est également l'histoire d'un combat tant le roman fort en émotions que nous propose Nicole Dennis-Benn traite de problématiques sociétales contemporaines, telles que l'exil, la situation des sans-papiers face au monde du travail, la vie à New-York en général, la condition des femmes et des étrangers ou encore l'homosexualité.

"Si le soleil se dérobe", avec un texte puissant, parfois cru également mais aussi fastidieux ne laisse pas le lecteur indifférent face aux (més)aventures que connaît Patsy, l'(anti)héroïne de ce roman où l'ambiguïté de son personnage transparait. Une bonne lecture estivale qui permet de voyager et de faire une escale littéraire et culturelle au travers de la cuisine et du parler jamaïcains.
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Pour commencer, je remercie très sincèrement les éditions de l'Aube et Babelio, grâce à qui j'ai découvert ce livre dans le cadre d'une masse critique privilégiée. J'avais postulé sans trop savoir à quoi m'attendre, et j'ai été presque surprise de le recevoir… quelques jours à peine avant de partir pour des vacances improvisées en famille ! Si ce départ imprévu a fait grand bien à tout le monde, l'engagement pris pour cette masse critique inattendue en a souffert : j'ai à peine lu durant ces presque deux semaines en Béarn (une bien belle région… ;) ), si bien que je ne me suis attaquée que très tard à ce livre-cadeau tellement prometteur, pourtant. Pour combler le tout, peu après notre retour en Belgique, j'ai à nouveau suspendu toute lecture et/ou commentaire de livre, pour une nouvelle raison imprévue : l'hospitalisation de ma maman, âgée de 83 ans, à la suite d'une chute dans les escaliers chez elle…
Tout va bien maintenant, merci, mais entre-temps, les jours de retard dans la rédaction de mon commentaire n'ont cessé de s'allonger. J'en suis sincèrement désolée, d'autant plus que la seule conclusion qu'on puisse donner est : il faut lire ce livre !

En effet, je disais que je ne savais pas trop à quoi m'attendre en postulant pour ce livre, qui reste pour l'instant encore peu mentionné (voire pas du tout) sur les réseaux, qui s'animent pourtant depuis quelques jours autour de la rentrée littéraire – rentrée dont ce livre, pas encore sorti à ce jour, fera partie très prochainement. Cependant, j'ai lu ici ou là (et certainement sur Babelio) les avis des quelques autres chanceux qui l'ont reçu également. Ce ne sont que des avis positifs, il faut le souligner, qui relèvent pour la plupart les grandes thématiques assez « classiques » qui traversent ce roman : l'immigration illégale, ce fameux « rêve américain », mais aussi le racisme, la violence des hommes, l'homosexualité féminine… et ces avis, à ma grande surprise maintenant que j'ai terminé ce livre, semblent ne mentionner ce roman qu'à travers le prisme desdites thématiques.

Alors, bien sûr, il serait absurde de prétendre que ces thèmes ne seraient pas présents ; au contraire, ils sont même omniprésents, mais contrairement à ce que certains de mes co-commentateurs pourraient laisser penser, ils ne prennent jamais la place d'un avant-plan. En réalité, l'autrice donnerait presque l'impression d'aborder ces thèmes (tellement « à la mode », pourtant !) presque par accident, mais jamais pour eux-mêmes. Ils apparaissent d'une façon extrêmement subtile, comme en filigrane de toute autre chose : l'histoire d'une femme, tout simplement, à la recherche d'elle-même. Alors oui : on est bel et bien dans le contexte particulier du « rêve américain », désenchanté certes, mais c'est l'histoire de cette femme plus que tout qui est centrale, et qui remue de bout en bout.

De plus, c'est une femme comme vous et moi, même pas exceptionnelle, même pas parfaite, même pas géniale (du tout), mais Nicole Dennis-Benn nous raconte son histoire avec un formidable talent de conteuse qui prend aux tripes.
Et donc, c'est aussi une femme terriblement jamaïcaine : notre Patsy est issue d'un quartier pauvre de Kingston, la capitale. Elle avait rêvé de pouvoir étudier pour s'en sortir, comme d'autres, refusant obstinément les voies illégales (dont le trafic de drogue) tellement faciles qui règnent dans ledit quartier, tandis que dans un coin de sa tête traîne l'envie de rejoindre « un jour » son ex-meilleure amie, et aussi ex-petite amie (ce qu'on comprend sans que ce soit jamais dit de manière directe) Cicely, partie vivre aux États-Unis, dont elle reçoit des lettres régulières lui laissant croire qu'elle y est attendue.
Mais deux événements vont l'empêcher de réaliser quoi que ce soit, du moins dans un premier temps : la plongée de sa mère dans un certain fanatisme religieux encouragé par son église locale, à qui elle consacre désormais tout son temps, son argent (pour le peu qu'elle en a) et toute son énergie, obligeant la trop jeune Patsy, encore enfant, à tout gérer chez elle pour simplement survivre ; puis une grossesse inattendue et non souhaitée, mais qui sera bien évidemment menée à terme jusqu'à la naissance de la petite Trudy-Ann, appelée Tru par tous, enfant précoce que la trop jeune Patsy, alors à peine sortie de l'adolescence, ne parvient pas à aimer…
Ainsi, quand de façon inespérée, Patsy obtient un visa touristique pour les États-Unis, c'est l'occasion de tout planter là (y compris Tru) pour enfin vivre sa vie – car Patsy n'a pas la moindre intention de rentrer en Jamaïque à l'expiration de son visa, et advienne que pourra !

Bien évidemment, on l'a compris, son « rêve américain » va très vite tourner à une espèce de cauchemar, car Cicely – alors son seul et unique contact en Amérique, et la personne en qui elle a placé tous ses espoirs de sa vraie vie qu'elle peut enfin s'autoriser à vivre – a choisi son propre rêve américain, dans lequel Patsy n'a pas la moindre place… Et ainsi, de déboire en désillusion, de belles ou mauvaises rencontres en bouts d'espoir, Patsy se construit néanmoins sa propre vie dont elle est enfin actrice pleinement assumée, même si ça n'a plus grand-chose à voir avec un rêve.
Ainsi, tout au long du livre, l'autrice propose l'évolution de Patsy durant une dizaine d'années à partir de son départ pour les États-Unis, dans une alternance déséquilibrée de chapitres : je n'ai pas compté, mais on est de l'ordre de 3-4 chapitres consacrés à Patsy, à sa vie américaine, mais aussi à de nombreuses digressions sur ce qu'elle a vécu avant, en autant de flashes back plus ou moins reliés à sa nouvelle vie, pour un seul chapitre centré sur Tru (avant de repartir sur Patsy, et ainsi de suite), désormais enfant abandonnée. Patsy avait eu le réflexe de confier sa fille au père de celle-ci, un homme marié, policier intègre et déjà père de 3 garçons, qui connaît à peine cette fille qu'il n'avait pas davantage désiré, d'autant plus qu'elle lui rappelle au jour le jour son ex-maîtresse qu'il n'a jamais réellement cessé d'aimer.

Plus on avance dans le roman, et plus l'histoire de Tru prend de l'ampleur, jusqu'à arriver à un équilibre beaucoup plus naturel d'un chapitre pour Patsy, suivi d'un chapitre pour sa fille devenue ado plutôt rebelle et pas toujours bien dans sa peau, mais entêtée et bien décidée à se battre à son niveau pour ses rêves à elle. C'est là aussi que le roman prend quelques facilités, qui seraient presque décevantes au vu de l'ensemble : on regretterait presque que l'autrice surjoue l'homosexualité de mère en fille (était-ce vraiment nécessaire ?), et un happy end qui, sans gâcher les choses, n'est pas tout à fait crédible… ou alors, aurait mérité un développement un peu plus long ! Après tout, on approche des 600 pages : quelques pages de plus n'auraient pas été excessives, et auraient donné plus de relief à ce final qui, tel quel, a un petit côté bisounours qui ne cadre pas tout à fait avec l'ensemble, mais qui n'en est pas moins réjouissant, bien sûr !

Quoi qu'il en soit, c'est sans doute cette alternance de points de vue, et son déséquilibre mesuré, qui exprime le mieux à quel point l'autrice est douée pour nous raconter une histoire tout simplement humaine, sans jamais porter de jugement, mais touchant à nos sentiments, à notre ressenti de façon tout aussi fine, quel que soit le personnage : jamais elle ne juge Patsy comme une mauvaise mère - c'est pourtant ce qu'elle est, d'une certaine façon ! seriez-vous capable, vous, d'abandonner votre enfant pour aller vivre votre rêve, seule ?... – mais nous entraîne dans les méandres de la liberté retrouvée de la jeune femme, encore et toujours mêlée d'une culpabilité que rien ne semble pouvoir effacer malgré le temps qui passe. Et de la même façon, elle nous attache à la vie bousculée de la petite, puis jeune ado Tru, qui ne comprend pas cet abandon mais apprend à vivre avec, maladroitement aimée par ce père qui ne sait comment l'apprivoiser et une belle-mère improvisée en mal de fille mais éternellement jalouse de celle qui fut « l'autre femme ».

C'est un imbroglio parfaitement maîtrisé de sentiments humains, magnifiquement exploités, sans jamais prendre de parti tranché… et qui en plus sont réellement universels. En effet, comme je le soulignais plus haut, l'autrice place son intrigue dans le contexte particulier de l'immigration (illégale) jamaïcaine aux États-Unis, mais il est indéniable que l'on pourrait trouver des situations similaires n'importe où sur le globe, en plus ou moins dramatique sur certains aspects, mais toujours avec cette justesse dans l'exploration de l'âme humaine dans ce qu'elle a de plus fragile, dans son besoin de liberté individuelle, dans ses relations à la famille quelle qu'elles oit, ou d'accomplissement personnel envers et contre tout.
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Citations et extraits (44) Voir plus Ajouter une citation
Manhattan apparaît plus nettement autour d'elle, avec ses immenses gratte-ciel aux sinistres façades géométriques; ses larges chaussées sur lesquelles les taxis filent vers une ligne d'arrivée invisible; ses échafaudages et ses grues semblables à des ailes de chauves-souris tendues vers un morceau de ciel bleu; ses odeurs d'égouts et d'urine chaude répandues par la vapeur jaillissant du sous-sol, pareille au souffle d'un dragon; sa cacophonie de langues étrangères, digne de la tour de Babel, exaspérante quand elle s'unit au hurlement des klaxons, au crissement des pneus, au son aigu des sirènes.
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Ce départ ne lui semble plus aussi grave maintenant. Patsy regarde Tru prendre la main de manman G, et cette scène lui paraît aussi naturelle que si elles avaient toujours vécu ainsi ensemble, juste toutes les deux. Les rayons du soleil nimbent leurs silhouettes d'un halo orange bleuâtre. Patsy cligne des yeux. Elle a du mal à voir le visage de Tru à travers le fin rideau doré. Elle se dit qu'une bonne mère aurait pris une photo de sa petite fille bientôt âgée de six ans, dont la moue rappelle celle de son père et dont les yeux semblent chargés de nuages sombres qui menacent d'éclipser le soleil. Une bonne mère aurait pris le temps d'inspirer jusqu'à la dernière minute l'odeur de ses cheveux, les parfums mêlés de l'huile capillaire Blue Magic et du talc. Mais elle est en retard pour l'embarquement. À mesure que Patsy s'éloigne, Tru disparaît. Au bout d'un moment, la fillette s'évapore totalement dans la lumière du soleil.
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C'est donc à ça que se résume la vie : à une série de choix. Mais quand Patsy a-t-elle eu le droit de choisir ? Jamais. On ne lui a pas demandé son avis la première fois qu'on lui a écarté les jambes ; on ne l'a pas autorisée à se débarrasser du poids qu'elle a ensuite dû porter pendant neuf mois ; elle n'a jamais eu le droit de regarder une femme, ni de se laisser porter par ses sentiments, sans que cette histoire se termine dans un bain de sang rouge vif et que des éclats de verre restent à jamais fichés dans son cœur. Et aujourd'hui ? Aujourd'hui, elle ne restera en vie que si elle accepte de renoncer définitivement à choisir.
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_ Mais qu'est ce que j'ai fait de mal ?
[...]
Rien, petite. C'est pas toi qui a fait du tort.
_ Alors pourquoi maman m'a abandonné ? Pourquoi tu m'envoies habiter ailleurs?
La grand mère rejoint sa petite fille, l'air toujours peiné. "Tu vois, le sel de ces larmes vaut pas grand chose à côté des sous que ta mère va gagner en Amérique, dit-elle d'une voix où monte la colère. Tu dois comprendre que désormais, elle fait seulement ce qu'il y a de mieux pou toi. Je sais bien que les sous, c'est la cause de tous les maux. Mais parfois, y rendent les choses plus faciles.
p 105
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Patsy enfile toujours ses vêtements dans le noir, car elle évite de se regarder dans les miroirs, généralement mécontente de ce qu'elle y aperçoit : un visage rond et plat ordinaire, un nez large, des lèvres pleines et boudeuses qui lui donnent l'air d'un enfant déçu d'avoir perdu son jouet préféré, malgré les fossettes qui creusent en permanence ses joues.
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Vidéo de Nicole Dennis-Benn
Déconstruire le récit dominant n'est pas une mince affaire. le chemin est encore long pour rendre compte de la complexité des expériences vécues. Plus que jamais, ces voix sont essentielles. Des femmes marginalisées issues des communautés autochtones aux femmes noires dont les corps sont sexualisés, il y a une histoire commune qui ne raconte pas autre chose que le pouvoir ascendant de la masculinité. Ces trois formidables autrices nous disent combien, ici et ailleurs, l'espace littéraire est un lieu idéal où faire vibrer ces voix. Nicole Dennis-Benn, Emma Cline et Terese Marie Mailhot
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