L'usure d'un monde
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Partir seul en Iran, quelques semaines à peine après les soulèvements populaires nés de la mort de Maha Amini, voilà le pari fou de
François Henri Désérable en cette fin 2022. On pourrait le taxer d'inconscience ou de prise de risque inutile, mais ce n'est finalement qu'un hasard de calendrier qui décida de ce voyage, plusieurs fois reporté pour cause de Covid ou d'actualité littéraire. Un voyage planifié pour suivre les traces de
Nicolas Bouvier décrites dans «
L'usage du monde », lu à 14 ans et devenu sa Bible et son Evangile, et qui lui donna l'envie de « passer la moitié de ses jours en ce monde à le voir, et l'autre à l'écrire ». Un voyage d'où il retiendra des rencontres, Niloofar, Firouzeh, Ali ou Amir. Des iraniens qui lui feront comprendre le sens du mot courage dans un pays où toute contestation est sévèrement réprimée. Des rencontres touchantes ou improbables, des Afghans, des indiens ou de rares européens qui en disent long sur la diversité de ce pays méconnu. Pendant quelques semaines, il va traverser ce pays usé par trop de répressions, usé de subir un régime d'un autre âge, usé de voir sa jeunesse étouffée alors qu'elle est avide de changement. de Téhéran à Ispahan, de Chiraz à Keshit, du Baloutshistan à l'Azerbaidjan, il va aller à la rencontre de ce peuple chaleureux, avec toujours au ventre la peur des bassidji, les bras armés des Gardiens de la Révolution. Un voyage qui nous donne envie à sa suite de scander « Femme, vie, liberté » en hommage à ces vraies résistantes.
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Je lis peu de récits et pourtant j'ai dévoré ce livre, passionnant d'un bout à l'autre. Et j'ai réalisé qu'en dépit de la lecture de quelques romans, je savais finalement très peu de ce pays. Je connaissais son histoire contemporaine tragique, mais j'étais finalement victime de l'effet de loupe si bien décrit par l'auteur et que je connaissais finalement peu son peuple. C'est finalement un immense courage que je reconnais à
François Henri Désérable pour avoir accompli ce périple et avoir promené un miroir le long de son chemin pour nous en rapporter ce superbe récit. Il le fait avec humilité, s'effaçant toujours derrière ses hôtes, avec objectivité, donnant la parole à chacun, quelles que soient leurs croyances ou leurs opinions, avec humour aussi, comme lorsqu'il décrit le «ta'ârof », forme de courtoisie raffinée, degré suprême de la délicatesse ou déférence exagérée voire rite hypocrite, ou encore les mariages éphémères dont je vous laisse découvrir l'intérêt.
« Si l'on voyage, ce n'est pas tant pour s'émerveiller d'autres lieux : c'est pour en revenir avec des yeux différents». Mission ô combien réussie, car cette lecture a complètement changé ma vision de ce pays. Au-delà du portrait d'un pays, c'est le portrait d'un peuple admirable qu'il m'a donné à voir. Un peuple qui vit dans la peur, mais qui résiste et qui lutte. Un peuple accueillant, ouvert et curieux. Un peuple courageux dont le cri résonne comme un écho et ne faiblit pas. Ce récit ne serait pas aussi fort, enfin, sans la plume merveilleuse de l'auteur. D'une apparente simplicité, elle est remplie de poésie et d'un réel humanisme, et elle nous transporte, grâce à son acuité à saisir l'instant, à retranscrire une ambiance, dans ces paysages incroyables et cette culture millénaire. Ainsi, un visionnage de match de foot, une visite au bazar, ou une scène de fiançailles prennent un relief incroyable et deviennent inoubliables.
Je ne résiste pas à vous livrer une dernière phrase, répétée telle un mantra au fil du voyage :
« Derrière chaque personne qui meurt, battent mille autre coeurs »
Puisse t-on ne jamais l'oublier quand l'actualité nous relate les meurtres de ce régime que l'on espère voir tomber.